Simon Boivin et Annie Morin, Le Soleil, publié le 12 avril 2017
(Québec) Le Port de Québec a signé une option d’achat sur les terrains de Rabaska, dans l’est de Lévis, afin de pouvoir y développer des projets. Une acquisition qui doublera sa superficie.
Le président-directeur général du Port, Mario Girard, a déjà dit qu’il se sentait à l’étroit sur la rive nord, où les possibilités d’expansion sont inexistantes. Son intérêt pour les terrains à la limite de Beaumont, où devait s’établir un port méthanier, ne date pas d’hier. Et le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, n’a jamais caché son attrait pour le potentiel industrialo-portuaire de la zone.
L’Administration portuaire de Québec (APQ) s’est entendue la semaine dernière avec le président de Rabaska, André L’Écuyer, sur une option d’achat pour le terrain. Le port a cinq ans pour se porter définitivement acquéreur de l’endroit.
«Pour vous dire franchement, il n’y a pas de plan B, indique M. L’Écuyer. On a monté ça pour qu’éventuellement, le port achète.»
Le pdg du port ne veut pas dévoiler le montant convenu pour la transaction à réaliser. Une information «confidentielle» et «stratégique», dit-il. Mais le rôle foncier de Lévis évalue le terrain entre 5 et 6 millions $, selon M. L’Écuyer.
La signature de l’option d’achat ne signifie pas que le port envisage du développement à court terme, assure M. Girard, pdg du Port. «Il n’y en a pas de projet encore, jure-t-il. Peut-être que ça ne se passera pas avant 50 ans. Je n’en ai aucune idée. Mais on n’a rien en tête.»
L’option d’achat était selon M. Girard la meilleure avenue. Elle offre du temps pour consulter et obtenir le financement nécessaire, tout en permettant de considérer le nouveau terrain dans les plans d’avenir. Elle «sécurise» aussi la dernière zone industrialo-portuaire disponible dans un rayon de 50 à 100 km, dit M. Girard. L’attrait du terrain repose aussi dans sa proximité avec les infrastructures routières et ferroviaires, ainsi que la possibilité d’y construire un port en eau profonde.
«C’est un geste très opportun pour le port d’essayer de réserver cet espace-là pour des développements éventuels futurs», dit le patron du port.
«Réserve foncière»
La faiblesse du Port de Québec est son manque de «réserve foncière» pour le développement, confesse son pdg. À l’heure actuelle, cette réserve est à zéro. Elle sera de 17,5 hectares lorsque l’agrandissement Beauport 2020 sera réalisé. Sur une cinquantaine de ports visités en Europe, M. Girard note que celui avec la plus petite réserve est celui de Liège, avec 100 hectares. L’achat des terrains dans Lévis-Est engraisserait la réserve du port de 273 hectares. Plus que sa superficie actuelle de 220 hectares.
Maintenant que l’entente est publique, le patron du port entend rencontrer les «parties prenantes» pour discuter du dossier «dans les prochaines semaines». Entre autres, l’Union des producteurs agricoles (UPA) qui souhaitait un retour des terres en «zone verte». Un espoir qui ne s’est jamais réalisé. Les locataires des 14 maisons achetées par Rabaska sur le terrain seront aussi rencontrés.
Mario Girard ne s’attend pas à faire l’unanimité. Le projet Rabaska a soulevé de la grogne non seulement sur place, mais aussi en face, sur l’île d’Orléans. Le pdg trouve dans l’appui enthousiaste du maire de Lévis, qui a inclus la zone industrialo-portuaire dans son schéma d’aménagement, la légitimité d’aller de l’avant.
«C’est sûr qu’il va peut-être y avoir quelques personnes qui vont lever la main, prévoit M. Girard. Je pense que c’est inévitable. L’unanimité sociale n’existe pas. Mais ce sont des gens avec qui on aimerait dialoguer. Je pense qu’on a démontré qu’on voulait avoir un dialogue constructif» avec les acteurs concernés.
Même si le terrain deviendra un territoire fédéral, M. Girard ne craint pas de conflit avec le gouvernement du Québec. Les frictions avec le ministre de l’Environnement David Heurtel sur l’agrandissement Beauport 2020 sont chose du passé, a-t-il assuré.
«On ne veut pas tomber dans l’histoire des juridictions, a indiqué M. Girard. À mon avis, ce n’est pas une bonne idée. Moi, je ne suis pas politicien. Je veux tout le monde en collaboration autour de la table et chacun a son mot à dire.»
Pour le moment, l’APQ n’évoque pas une aide financière d’Ottawa.
Le début de la fin
La vente des terrains de Rabaska représente le dernier clou dans le cercueil du projet de terminal méthanier de 840 millions $.
En entendant la formule consacrée, André L’Écuyer, la voix de Rabaska depuis bientôt une décennie, sursaute. Il n’aime pas l’idée d’une conclusion, encore moins l’image de la mort, mais il concède que c’est bien le cas. «Dans les faits, quand le port va exercer son option, ça va être la fin», dit le président.
Quand Gaz Métro, Enbridge et Gaz de France ont présenté le projet en 2004, les prix du gaz naturel tournaient autour de 12 $ US par million de BTU, l’unité de mesure pour cette marchandise. Après la crise financière de 2008, les cours sont tombés sous les 4 $ US. En raison du développement effréné de l’industrie des gaz de schiste aux États-Unis, ils ne sont jamais remontés.
Encore aujourd’hui, le gaz naturel se transige à environ 3 $ US le million de BTU. C’est trois fois moins que le seuil de rentabilité déjà évoqué par la présidente de Gaz Métro, Sophie Brochu.
Le retournement a été tel que plusieurs terminaux construits pour importer du gaz naturel liquéfié en Amérique du Nord ont été convertis pour en exporter, explique M. L’Écuyer.
Gaz Métro et ses partenaires, qui ont longtemps vu Rabaska comme «une police d’assurance», lancent donc la serviette. «Plus le temps passe, plus on réalise que les chances de réaliser le projet sont faibles. On ne voit pas de retournement majeur du marché, un retournement qui serait permanent», rapporte celui qui sera vraisemblablement le dernier président de Rabaska. Annie Morin et Simon Boivin
Pas de pétrole pour «au moins cinq ans»
Le contrat entre le Port de Québec et Rabaska interdit tout démarchage pour un projet pétrolier pendant une période de cinq ans, que l’option d’achat soit exercée ou non. «On a choisi d’éliminer l’option pétrole, compte tenu des sensibilités, pour au moins cinq ans. Même si on doit faire de la prospection, on ne s’en va pas dans ce sens-là», assure le président-directeur général de l’APQ, Mario Girard. «Ce n’est pas une option qui est éliminée à jamais. On ne sait pas ce qui va arriver dans 50 ans. Encore une fois les technologies, les changements, les bateaux, je ne le sais pas. Je ne peux pas éliminer une option comme ça, mais les cinq premières années, la durée de l’option, on ne va pas dans cette direction-là», insiste-t-il. «On ne veut pas lancer de débat», résume André L’Écuyer, président de Rabaska, conscient que la population est frileuse par rapport aux hydrocarbures. Annie Morin