Antoine Robitaille, Le Devoir, publié le 12 septembre 2016
Ainsi, le Québec n’aurait aucune compétence pour évaluer un projet industriel au Port de Québec. Seul le fédéral l’aurait. Tel est le verdict, dévoilé jeudi, du juge Gilles Blanchet de la Cour supérieure. Le gouvernement Couillard a jusqu’au début octobre pour porter la cause en appel. Il ne devrait pas hésiter à le faire.
Dans toute fédération, le partage des pouvoirs entre les ordres de gouvernement est chose complexe. Lequel a le droit de légiférer sur quoi ? Il y aura 150 ans l’an prochain que les tribunaux interprètent et réinterprètent les listes de compétences de l’Amérique du Nord britannique (articles 91 et 92). Il y eut plusieurs périodes d’interprétation centralisatrice. Mais le Conseil privé de Londres et par la suite la Cour suprême ont aussi eu à certains moments tendance à renforcer les compétences de l’ordre provincial. Depuis le milieu des années 1990, une doctrine du « fédéralisme coopératif » a fait florès. Les jugements se réfèrent souvent à un fédéralisme« souple », qui tend à favoriser, « dans la mesure du possible, l’application concurrente des lois adoptées » par les deux ordres de gouvernement.
Ce courant est-il en train d’être abandonné ? En 2010, une association de pilotes a réussi à faire dire à la cour que la loi sur le zonage agricole ne pouvait limiter un choix d’emplacement pour un aérodrome. Peu après, la querelle de Neuville a éclaté. Un aérodrome a été bâti sur une terre agricole au mépris des règlements municipaux et québécois. Plus récemment, Châteauguay voulait interdire la construction d’une tour de télécommunications ; la cour a donné raison à Rogers contre la municipalité.
Dans ces deux derniers cas, un gouvernement cherchait à interdire une construction. Dans le cas du Port de Québec, il s’agissait de l’évaluation d’un projet. Malgré tout, le tribunal (ici la Cour supérieure) a soutenu que le Québec n’avait aucune compétence ; il y aurait un « conflit d’intention » entre les normes québécoise et fédérales. Et l’on doit respecter l’« intention clairement exprimée du Parlement [fédéral] de se réserver le dernier mot advenant [un] conflit sur toute question touchant le réseau portuaire en ce pays ».
Il s’agit, comme l’a expliqué au Devoir le juriste David Robitaille de l’Université d’Ottawa, d’un jugement centralisateur fondé sur une vieille théorie selon laquelle lorsque le fédéral légifère de façon détaillée dans un domaine, les réglementations des autres ordres doivent s’incliner. L’aménagement du territoire constitue pourtant une compétence importante de ces gouvernements de proximité que sont les provinces. La nouvelle jurisprudence semble la miner de plus en plus au profit d’un gouvernement d’éloignement… qui aime les oléoducs.