Redonner l’accès aux plans d’eau du Vieux-Québec

Le Soleil, publié le 27 août 2016

POINT DE VUE
Le Soleil

Durant les deux premiers siècles de son existence, Québec fut dans les faits une ville balnéaire, les rivages du quartier historique ayant été conservés libres d’accès en vertu de l’ordonnance «de la marine» promulguée en 1681 par Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV, en vue de leur usage libre et gratuit par la population.

Dans son livre Les anciens Canadiens, Philippe Aubert de Gaspé nous décrit les plaisirs de l’été à Québec vers 1800: «Je puis affirmer que la population mâle de la cité de Québec, à quelques exceptions près, savait nager, il y a 60 ans. Quand la marée était haute le soir durant la belle saison, les grèves étaient couvertes de baigneurs depuis le quai de la Reine jusqu’aux quais construits récemment sur la rivière Saint-Charles. Quant à nous, enfants, nous passions une partie de la journée dans l’eau, comme des petits canards.»

La conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre rendit obsolète l’Ordonnance française protectrice des rivages publics. Puis vint l’époque de la Révolution industrielle durant laquelle tous les accès publics aux grèves de Québec furent supprimés par les intérêts portuaires et maritimes en dépit des protestations et des suppliques des habitants. Des quais privés occupèrent les rives et le fleuve devint inaccessible, inutilisable par la population.

Résultat: depuis 200 ans, des quartiers résidentiels pourtant situés à quelques mètres du fleuve ont vu grandir des dizaines de milliers d’enfants ou d’adolescents dont aucun n’a pu profiter de l’eau qui clapotait juste en contrebas de la maison de ses parents, même durant les grandes chaleurs estivales.

De plus, on interdit toute jouissance physique du fleuve aux millions de touristes qui visitent Québec alors qu’en Europe, durant la même période, de nombreuses villes littorales ont préservé puis développé leurs plages urbaines même quand ces dernières n’offrent qu’un tapis de cailloux comme à Dieppe, à Brighton ou bien au Havre, devenues des stations balnéaires et touristiques fort courues.

Dans le cas de Québec et comptabilisées sur les deux derniers siècles, les retombées économiques et sociales à jamais perdues à la suite de la destruction des grèves et plages de la ville par les activités portuaires sont à proprement parler incalculables.

Le bassin Louise

Le bassin Louise représente aujourd’hui une occasion pour Québec et son port de redéfinir les fonctions d’une partie de leur interface, avant que les forces immobilières ne s’emparent de ses rives encore publiques. Il offre un fort potentiel inexploité susceptible de valorisations nouvelles. Voisine du quartier touristique, cette rade publique est devenue un club privé après les festivités de 1984. À l’abri des marées, l’endroit commande un panorama inégalé sur le Vieux-Québec, «sans doute la plus belle perspective urbaine en Amérique du Nord», selon l’Américain Christopher Forbes, vice-président de Forbes Magazine.

Le bassin Louise est un atout collectif et national tout comme le parc des plaines d’Abraham. Le Port en a conservé la gestion en dépit du fait que les activités portuaires ont largement déserté les lieux depuis plus d’une génération, l’endroit servant aujourd’hui de simple stationnement pour des yachts. L’usage et la jouissance de cette propriété publique haut de gamme sont ainsi réservés exclusivement aux membres d’un club privé, soit une infime partie de la population du pays.

À Québec, l’aménagement urbain comporte des particularités. C’est ainsi que, durant l’été, les voitures peuvent se prélasser toute la journée au soleil au bord d’un plan d’eau et s’y faire dorer la carrosserie. Un yacht pourra braver la canicule et jouir des plaisirs du bain dans ce grand lac en ville sous les regards envieux de passants à demi rôtis par un soleil de plomb, pour qui ces privilèges sont interdits. Il est formellement interdit de toucher à l’eau, et cela par toutes les autorités compétentes. Inutile de chercher à qui la faute: c’est la vôtre! Vous n’aviez qu’à naître dans une fabrique de yachts ou dans un garage.

Bref, l’accès aux plans d’eau qui baignent le Vieux-Québec est aujourd’hui entièrement cadenassé. C’est pourquoi un retour à la symbiose qui a déjà existé entre la population de Québec et le fleuve, notamment par un réaménagement graduel et réfléchi du bassin Louise au profit du plus grand nombre, améliorera la qualité de vie de toute l’agglomération, sans compter l’image même du Québec et du Canada. En prime, on créera une attraction touristique de première grandeur et une réalisation urbaine remarquable aux niveaux canadien et international.

Avant toute décision, les gouvernements devront procéder à un réexamen fondamental de l’organisation de l’espace et de la gestion de la ressource en eau de ce lac urbain providentiel situé au coeur de la capitale québécoise.

Léonce Naud, Deschambault

Les commentaires sont fermés.