Au temps de la baignade au fleuve

François Bourque, Le Soleil, publié le 21 juin 2016

(Québec) CHRONIQUE / Si la météo le permet, la baignade au fleuve devant Québec sera permise pour la première fois cette semaine en un demi-siècle.

Un moment important et symbolique; l’aboutissement de 30 ans de débats publics, de travaux de gestion des eaux usées et de tergiversations.

Les nostalgiques regretteront peut-être l’époque où l’accès au fleuve était libre et gratuit. L’accès à la Baie de Beauport coûte 2 $ par personne et le stationnement, 10 $.

La qualité du décor et des équipements n’a cependant rien à voir avec le fleuve moribond des années 60 et ses berges chargées de réservoirs. Ça se paye.

La gestion par un opérateur privé, Gestev, impose aussi que la plage fasse ses frais. Un choix politique.

Dans de vieux journaux d’époque, j’ai trouvé des comptes rendus d’un Championnat du monde de natation tenu à l’été 66 dans le bassin Louise.

Québec l’ignorait alors, mais ce serait le dernier, la pollution et le retrait du commanditaire principal (Molson) avaient l’année suivante sonné le glas du Marathon de Québec.

L’épreuve consistait en 16 tours du bassin Louise extérieur (10 milles). Un effort modeste de quatre heures et quelque pour des nageurs rompus au lac Saint-Jean (20 milles), à la Manche (21 milles), au lac Ontario (32 milles), etc. Ceux-ci étaient cependant attirés par les bourses (2000 $).

Des milliers de spectateurs avaient suivi l’épreuve sur les quais. Les jours précédents, les nageurs avaient été reçus par le maire Lamontagne et participé à un défilé en basse ville.

Le champion local et premier homme à avoir traversé le lac Saint-Jean, Jacques Amyot, n’avait déjà plus l’âge des compétitions de haut niveau. Il était cependant dans l’organisation.

Le favori de cet été 66 était l’Italien Giuli Travaglio, meneur du circuit international. Une jeune sensation néerlandaise de 23 ans, Judith De Nys, attire cependant l’attention.

Elle avait semé tous les hommes lors de la traversée du lac Saint-Jean la semaine précédente. Malgré ses succès, la nageuse venait d’annoncer sa retraite. «La nage est trop dure pour une femme», avait-elle expliqué. Ses mots avaient été repris dans le titre du journal. Cela ferait aujourd’hui scandale. Dans les faits, la nageuse n’avait plus le goût de s’entraîner trois à quatre heures par jour pour rester au plus haut niveau. Ça arrive à tout le monde.

Ce n’est pas la seule curiosité de l’époque. Le Soleil couvrait alors la grève des plombiers et électriciens. Le texte était assorti d’une photo montrant deux hommes en sous-vêtements : des briseurs de grève, contraints à se dévêtir et à monter sur une tribune s’excuser devant leurs collègues grévistes.

Dans une publicité, on lit : «Un autre fumeur de Players gagne une Mustang»; plus loin, Édouard Carpentier se prépare à affronter Hans Schmidt au Petit Colisée.

Jean Béliveau a quitté les As de Québec pour les Canadiens de Montréal en 1953 mais on le voit encore beaucoup à Québec ces années-là.

Les salaires des joueurs sont modestes et Béliveau travaille pour Molson. On le voit sur une photo serrant la main de la nageuse hollandaise, sous l’oeil du président Jacques Amyot.

Sur une autre page, il est dans une publicité : «Cet été, redécouvrez Québec avec Jean Béliveau», suggère la bière Laurentide. La pub montre des images des Plaines, de l’Aquarium et du «Musée de la province».

«À Québec, y’a d’la vie… Y’a d’la Laurentide.»

Parlant de Jacques Amyot, pour la première fois cet hiver, il n’est pas allé à la piscine. Il en aurait été capable, mais à 91 ans, il se sentait moins le goût d’affronter le froid en sortant, confie-t-il.

Lorsque je suis passé chez lui l’autre jour, l’eau de la grande piscine dans sa cour était propre. Il attendait que la température monte avant de s’y plonger.

«Si j’avais la permission de me baigner, j’irais encore au fleuve», assure-t-il.

Enfant, il descendait s’y baigner depuis la résidence familiale du quartier Montcalm. Arrivé en haut de la côte, il mettait pied à terre. Descendre sur un vélo sans frein aurait été périlleux. Mais il remontait la côte sur son vélo à vitesse unique.

Plus tard, il a été sauveteur (étés 42 et 43) à la plage de l’anse au Foulon. Les beaux après-midis, les baigneurs avaient du mal à se trouver une place tant il y avait foule, se souvient-il.

Il rapporte avoir sauvé six ou sept nageurs, le plus souvent à marée basse où le fleuve est plus risqué à cause des fosses.

Mais ce n’est pas à lui qu’il faut demander si le fleuve est dangereux. «Il n’y a rien là.» Il dément le mythe voulant que ce sont les bons nageurs qui se noient. «Ce n’est pas vrai. Ce sont ceux qui se pensent bons nageurs qui se noient.» On note la nuance.

Jacques Amyot aura nagé le fleuve dans tous les sens. Des traversées, des courses devant Neuville, une équipée de Sainte-Anne-de-Beaupré à Québec, etc.

Il sera allé au fleuve bien après que la baignade y ait été officiellement interdite.

On a «beaucoup exagéré» la mauvaise qualité de l’eau du fleuve, croit-il.

Les citoyens de la rive sud ont d’ailleurs toujours eu moins peur de la pollution que ceux de la rive nord. J’ignore si cela repose sur des données fiables, mais à ce que je sache, personne n’est mort ou s’est empoisonné du seul fait de s’être baigné au fleuve.

Des nageurs aguerris, dont le député de Lévis Steven Blaney, traversent le fleuve depuis des années pour une oeuvre de charité. D’autres s’y attaquent par plaisir ou défi.

Après les décennies sombres des années 60, 70 et 80, la qualité de l’eau du fleuve s’est améliorée. Il y a des années que, par temps sec, lorsque les égouts ne débordent pas, la baignade aurait été possible.

Ce qui a freiné les villes de Québec et de Sainte-Foy, ce n’était pas seulement la peur de l’eau polluée mais la perspective de payer pour la surveillance.

Maintenant que la baignade redevient possible, on va suivre avec intérêt les réflexions de la Commission de la capitale nationale (CCN) pour la promenade Samuel-De Champlain.

Dans son premier scénario d’aménagement du secteur de l’anse au Foulon, la CCN avait exclu tout contact direct avec le fleuve. Elle préférait construire une piscine plutôt que de réhabiliter la plage d’antan. Elle a depuis été contrainte de remettre le projet sur les planches à dessin. Souhaitons que l’exemple de la Baie de Beauport puisse l’inspirer.

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