Cri du cœur pour le fleuve

Karine Gagnon, Journal de Québec, publié le 8 mai 2016

L’historien Michel Lessard est un observateur privilégié du fleuve Saint-Laurent et de ses transformations au fil du temps. L’historien Michel Lessard est un observateur privilégié du fleuve Saint-Laurent et de ses transformations au fil du temps. (Photo: Stevens Leblanc)

Observateur privilégié des berges du fleuve Saint-Laurent, l’historien Michel Lessard s’inquiète vivement de la dégradation du littoral de Québec, d’autant plus en raison du projet d’agrandissement du port à la baie de Beauport.

«J’ai pu acheter cette maison avec une telle vue il y a 30 ans, mais jamais aujourd’hui un enseignant ne pourrait faire une telle acquisition. Il n’en aurait pas les moyens», lance d’entrée de jeu ce résident de Lévis, professeur titulaire retraité qui a fait une bonne partie de sa carrière à l’UQAM où il a enseigné l’histoire de l’art et de la photographie.

Le septuagénaire a aussi produit plusieurs films avec l’ONF, et écrit une vingtaine d’ouvrages magnifiques portant sur divers aspects de l’histoire de Québec. Le dernier, Québec éternelle, paru en 2013, nous entraîne à travers différentes époques de la ville, dans un dédale de superbes photographies.

« Le plus grand boulevard »

Cette vue sur «le plus grand boulevard de Québec depuis 400 ans», M. Lessard en profite à peu près dans tous les recoins de sa maison. Les grandes baies vitrées qui courent d’un bout à l’autre des paliers en font un spectateur de première ligne dès son réveil et jusqu’à la nuit tombée. Il ne pourrait plus s’en passer.

«Le matin, le soleil allume Québec, à partir de 5 h 30, raconte-t-il. Le soir, le soleil se noie sur les plaines d’Abraham, donc tu as sur le fleuve un pont d’or, dans des camaïeux de couleurs orangées et autres. Le paysage n’est jamais pareil. C’est toujours nouveau».

Ce paysage unique au monde, cette acropole de Québec comme il l’exprime si bien, a fait la force et le charme de la ville. Il se souvient à regret d’une époque où tout le monde était connecté au fleuve. Dans les rues de Lauzon où il a grandi, non loin du chantier maritime où son père était patron, les odeurs de friture émanaient des maisons chaque vendredi. Tous avaient pêché de l’éperlan dans la journée.

Meurtri par le port

Aussi M. Lessard s’en fait-il, lorsqu’il observe les transformations des dernières décennies, de constater la menace qui pèse sur le caractère pittoresque de Québec, ville du patrimoine mondial. Il salue l’aménagement de la promenade Samuel-De Champlain. Puis dénonce l’installation des silos qui ont défiguré cette partie du boulevard Champlain.

Mais surtout, l’historien se dit «meurtri par le port de Québec», port de transit qui ne sert pas Québec, selon lui, et qui mène le bal. «L’agrandissement du port [projet qui prévoit d’allonger la ligne de quais sur 610 mètres dans le secteur de la baie de Beauport] va amener une industrialisation qui va tuer le bassin de la capitale.»

Le Lévisien dit avoir observé à plusieurs reprises des nuages de poussière nimber l’air au-dessus du fleuve lors du déchargement de bateaux. Il a d’ailleurs signalé le tout à chaque fois à Urgence Environnement.

Il se demande aussi pourquoi il n’a vu que deux cargos s’arrêter aux silos depuis deux ans pour charger des granules de bois. On est bien loin encore des 400 000 tonnes de granules de bois qui devaient être expédiées à partir de ces silos, chaque année, moyennant l’arrêt d’un bateau par mois.

Ce sont là d’autres exemples qui font conclure à M. Lessard qu’il y a, à Québec, une surindustrialisation qui profite malheureusement à d’autres.

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