Stratégie maritime – Du meilleur et du pire

Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, publié le 8 mars 2016
 

Lancée en juin dernier, la Stratégie maritime du gouvernement Couillard vient d’accoucher de seize « zones industrialo-portuaires » situées dans autant de villes le long du Saint- Laurent. Une affaire d’un demi-milliard de fonds injectés d’ici cinq ans pour attirer des entreprises qui devraient créer 10 000 emplois. Mais ici, le conditionnel s’impose, voici pourquoi.

Traversé d’un bout à l’autre par un fleuve navigable, le Québec a toujours tiré profit du transport maritime pour son développement. Malheureusement, l’arrivée des techniques « juste-à-temps » dans la production manufacturière et le commerce a encouragé le recours aux camions, devenus des entrepôts roulants.

Aujourd’hui, les ports du Québec ont souvent une vocation spécifique liée au secteur industriel de la région, voire à une seule entreprise : le minerai de fer sur la Côte-Nord, le pétrole à Lévis, le bois à Cacouna, etc. Sans oublier les grands ports urbains à vocation généraliste, comme ceux de Montréal et de Québec.

Puis il y a le cas de Bécancour, avec ses cinq quais en eau profonde et son parc industriel de 7000 hectares, le seul qui appartienne au gouvernement du Québec.

Créé dans les années soixante pour accueillir des entreprises transformatrices d’envergure (aluminium, magnésium, etc.), ce port a été beaucoup négligé par Québec depuis une vingtaine d’années. Malgré sa vocation nationale, on a même déjà annoncé qu’on le cédait à la région lors d’une précédente vague de compressions, avant de se raviser après avoir constaté qu’il n’était pas déficitaire, mais bien rentable pour les finances de l’État.

On s’est donc contenté de le laisser suivre son bonhomme de chemin et de l’utiliser pour récompenser des amis, péquistes ou libéraux, la plupart incompétents pour l’emploi et pourtant nommés par décret au poste de directeur général. L’actuel directeur général, un ex-maire et ex-député libéral, diplômé de l’école primaire Curé-Brassard de Nicolet, a été nommé en 2012 à l’âge de 65 ans. Personne dans cette organisation n’est responsable de faire du démarchage auprès d’éventuels investisseurs. Conséquence : après 50 ans, le parc n’est occupé qu’à 40 % de sa capacité.

Or, en lisant la documentation rendue publique la semaine dernière par le ministre délégué à la Stratégie maritime, Jean D’amour, on a la nette impression que c’est précisément du modèle de Bécancour qu’on s’est inspiré pour créer les seize « zones industrialo-portuaires » (ZIP) de la Stratégie maritime. Dans chaque cas, on a demandé aux organisations locales (port, chambre de commerce, etc.) de se regrouper pour préciser les contours de leur nouvelle ZIP où l’on accueillera les futures entreprises désireuses de s’y installer grâce aux 300 millions qu’on leur réserve.

Qu’il existe ou non un parc industriel à proximité du port importe peu. On le souhaite, sinon tant pis. On ne va quand même pas créer de nouveaux parcs industriels alors que toutes les villes en ont déjà au moins un quelque part le long d’une autoroute ! Surtout pas avec les seuls 200 millions qui doivent servir à moderniser les infrastructures portuaires elles-mêmes. Sans oublier le fait que la plupart des ports du Québec appartiennent à Ottawa ou à une société minière.

Ce qui risque de se produire, c’est qu’on assiste à une montée de la concurrence entre les ports du Saint-Laurent pour attirer les rares sociétés étrangères d’envergure qui envisagent de s’établir dans une zone portuaire au nord de la frontière américaine. Quant aux PME locales, ce dont elles ont surtout besoin, c’est qu’on améliore l’accès aux installations dans une perspective de transport intermodal, et non pas qu’on crée des ZIP où elles seront incitées à déménager à cause de l’aide financière qui y sera rattachée.

L’intérêt de la Stratégie maritime ne réside pas dans la création de ZIP, mais dans les investissements prévus pour moderniser les infrastructures réservées au transport des biens et des personnes, avec la participation du propriétaire fédéral ou privé. Pour le reste, nous avons affaire au saupoudrage régional habituel dans lequel les politiciens québécois sont passés maîtres pendant les deux années qui précèdent une élection.

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