Annie Morin, Le Soleil, publié le 23 septembre 2015
(Québec) Après trois ans à se toiser, IMTT-Québec, son allié le Port de Québec, ainsi que les gouvernements du Québec et du Canada se sont lancés, mardi, dans un long procès à saveur historique et constitutionnelle qui s’étirera sur plusieurs semaines au palais de justice de Québec. L’enjeu est de taille et on ne peut plus d’actualité : l’application de la Loi provinciale sur la qualité de l’environnement (LQE) en territoire portuaire.
Le litige est né de l’implantation de sept réservoirs de produits chimiques et pétroliers au terminal de vrac liquide de Beauport à partir de 2007. IMTT n’ayant pas demandé de certificat d’autorisation environnemental au gouvernement provincial, celui-ci est revenu à la charge pour imposer a posteriori sa Procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. L’entreprise, qui avait obtenu une autorisation du fédéral délivrée par l’Administration portuaire de Québec (APQ), a accepté de jouer le jeu jusqu’au moment où le dossier a été transmis au Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE), à l’automne 2012.
Trois ans plus tard, l’honorable Gilles Blanchet de la Cour supérieure commence à entendre la cause, qui promet d’être aride. Mardi avant-midi, le juge et une bonne dizaine de procureurs représentant toutes les parties impliquées ont visité le terminal afin de bien se représenter les lieux. C’est le grand patron, Marc Dulude, vice-président exécutif d’IMTT, qui a servi de guide.
En après-midi, les procureurs ont procédé à tour de rôle à leurs déclarations d’ouverture.
Me Jean Lortie, procureur d’IMTT et de l’APQ qui font équipe, a fait valoir que la LQE est inapplicable en territoire portuaire car elle attaque trois compétences fédérales en matière de propriété publique, de navigation et de «lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au-delà des limites de la province». Il a aussi référé à la doctrine de la prépondérance du fédéral.
Me Lortie veut asseoir la propriété fédérale des battures de Beauport sur la Loi sur la formation du Canada Uni de 1858, la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur le Conseil des ports nationaux de 1936. Il est secondé par l’avocat représentant le procureur général du Canada, Bernard Letarte, qui n’en pense pas moins.
Me André Fauteux, qui agit pour le procureur général du Québec, a quant à lui remis en question le caractère fédéral d’IMTT et même celui du terrain où les réservoirs litigieux sont érigés. Historienne et expert en droit seigneurial seront d’ailleurs appelés en renfort au fil de la preuve.
«Pas une enclave juridique»
Me Fauteux a rappelé au juge que les effets des activités d’IMTT et des autres locataires du port de Québec débordaient dans les quartiers environnants. «Prétendre que le port de Québec est une enclave juridique fait fi de cette réalité bien concrète, bien physique : le port n’est pas isolé du reste du monde», a-t-il plaidé.
Il a également souligné les liens qui unissent IMTT et l’APQ, qui applique la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE) au nom du fédéral. «On a des gens qui font de labusiness [ensemble] et il y en a un des deux qui a la charge de contrôler l’autre, même au point de vue de l’environnement. Ça ne fonctionne pas», a laissé tomber Me Fauteux.
Le procès débuté mardi s’étirera au moins jusqu’à la fin octobre. Les plaidoiries finales auront vraisemblablement lieu en 2016. Le juge Blanchet s’attaque à la tâche avec enthousiasme. «J’ai que ça à faire cette année ou à peu près. C’est un dossier qui m’intéresse beaucoup», a-t-il lancé.
Les parties n’ont pas caché qu’elles s’attendaient à débattre ce dossier jusque devant la Cour suprême, ce qui pourrait signifier plusieurs années encore de procédures. La poursuite intentée contre le gouvernement du Québec par Arrimage Québec, qui veut aussi se soustraire à la LQE, est tributaire du résultat.