La bonne nouvelle Arrimage

Mylène Moisan, Le Soleil, publié le 27 mai 2015

(Québec) «Dieu merci, il n’y a aucune conséquence au dépassement des normes de nickel dans Limoilou.» Rien, nada. «Que se passe-t-il à Limoilou à part une grande inquiétude? Il ne se passe absolument rien, il n’y a personne qui souffre de quoi que ce soit, il n’y aucun cas d’eczéma, ni d’asthme.»

Même pas plus de poussière à épousseter sur la table du patio.

«C’est une bonne nouvelle!» L’avocate d’Arrimage a répété ça sans rire, elle doit être imbattable à Je te tiens par la barbichette. Arrimage, avec le Port de Québec, est visée par une deuxième demande de recours collectif, les parties ont eu deux jours, lundi et mardi, pour plaider devant le juge.

Arrimage et le Port conviennent que des capteurs ont mesuré des niveaux anormalement élevés de nickel dans Limoilou.

C’est tout.

«Est-ce qu’un dépassement anormal est un inconvénient anormal?» L’avocate de la compagnie n’en démordait pas, les habitants de Limoilou – j’en suis – doivent se réjouir, l’air qu’ils respirent est aussi inoffensif qu’un poisson rouge.

Et les normes? Eh bien, les normes, ça ne veut rien dire du tout, pas plus que le rapport produit par la Santé publique en 2013, où on a conclu que les personnes qui respirent trop de nickel courent plus de risques d’être malades.

Ce ne sont que des chiffres et les chiffres, c’est bien connu, ça ne se gratte pas. Ça ne fait pas d’asthme non plus.

«Il n’y a pas de préjudices, juste des capteurs qui mesurent des taux élevés, hors normes, de nickel.» Entre 2010 et 2012, les concentrations mesurées étaient en moyenne 4,4 fois plus élevées que la norme québécoise. Elles la dépassent encore régulièrement.

Il se transborde du nickel à ciel ouvert à Québec depuis au moins 10 ans, on a installé les capteurs en 2010. Et si Arrimage a installé des canons à eau l’an passé, c’est un simple adon. Il ne faudrait pas faire un lien avec le nuage de poussière rouge le 26 octobre 2012, avec le fait que Véronique Lalande et Louis Duchesne ont fait analyser celle qui s’est posée sur le rebord de leur fenêtre, qu’ils se sont aperçus que c’était bourré de métal.

Un adon, je vous dis.

Évidemment, Me Lavoie n’allait pas s’enfarger dans les détails, n’allait pas prendre la peine de rappeler au juge que la compagnie a nié tant qu’elle a pu être à l’origine des taux élevés de contaminants, que le ministère de l’Environnement lui a donné un avis de non-conformité et l’a obligée à corriger la situation.

C’est accessoire, puisque le nickel ne pose aucun problème.

L’avocat du Port de Québec a plaidé sensiblement la même chose, il a cité Shakespeare,Much Ado About Nothing, qu’il a traduit par «beaucoup de bruit pour rien».

Il nous a confié avoir lavé ses fenêtres il y a deux semaines, «on est tous exposés à la poussière». J’ai eu le goût de l’inviter chez nous pour épousseter ma boîte aux lettres, il faut le faire tous les trois, quatre jours.

Pour le reste, les avocats des deux parties se sont obstinés sur des articles de loi, sur la jurisprudence en matière de recours collectifs, ils ont parfois cité les mêmes jugements pour faire valoir leurs arguments.On attend maintenant que le juge Étienne Parent tranche, qu’il accepte ou non le recours collectif. Beau défi.

Si le recours est accepté, les gens de Limoilou devront prendre leur mal en patience, au sens propre. La cause pourrait s’éterniser pendant des années, tout comme le premier recours collectif sur la poussière rouge, autorisé en octobre dernier. De gros sous sont en jeu, on parle de 150 millions.

Ça m’a fait penser au recours collectif contre les cigarettiers, qui dure depuis 17 ans. Il a été autorisé en 1998, les audiences de 253 jours ont pris fin en décembre dernier, on attend que le juge rende sa décision. Au début, les compagnies ont nié le lien entre la cigarette et les maladies qu’elle causait. Pendant les audiences, les compagnies ont plutôt plaidé que les gens étaient au courant des risques, qu’ils n’avaient qu’à arrêter de fumer.

C’est peut-être ce qu’Arrimage et le Port plaideront dans 17 ans, les gens de Limoilou n’avaient qu’à déménager.

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