Annie Morin, Le Soleil, publié le 27 octobre 2014
Le projet d’agrandissement du port de Québec prévoit étirer la ligne de quais sur une distance de 610 mètres, d’ajouter des pipelines sous-marins pour transborder du vrac liquide et de redessiner la plage. (Photo: Erick Labbé, Le Soleil)
(Québec) Déjà devant les tribunaux pour défendre sa compétence en territoire fédéral, le ministère de l’Environnement du Québec refuse de dire s’il soumettra le projet d’agrandissement du port de Québec au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).
Le Soleil révélait récemment que l’Agence canadienne d’évaluation environnementale laisse à l’Administration portuaire de Québec (APQ) le soin de réaliser, selon ses propres critères, les études environnementales portant sur un éventuel agrandissement dans le secteur de Beauport. Il est prévu d’étirer la ligne de quais sur une distance de 610 mètres, d’ajouter des pipelines sous-marins pour transborder du vrac liquide et de redessiner la plage. Les investissements prévus dépassent les 500 millions $.
Nous avons demandé au ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) s’il allait exiger et superviser un examen préalable du projet de développement portuaire en fonction des règles provinciales.
«Il ne s’agit pour l’instant que d’une intention de l’Administration portuaire de Québec et le Ministère dispose de peu d’information à ce moment sur ce projet. Le MDDELCC entend suivre le dossier de près», répond par écrit Geneviève Lebel, coordonnatrice aux relations avec les médias du MDDELCC.
Ambiguïté du règlement
Celle-ci réfère ensuite au litige opposant le gouvernement provincial à l’APQ et IMTT-Québec, gestionnaire du terminal de vrac liquide de Beauport. Les deux partenaires affirment que le Québec n’a pas compétence sur les terres portuaires, sous régime fédéral, et que l’ambiguïté actuelle nuit à leur développement.
Déposée devant la Cour supérieure en septembre 2012, la requête introductive d’instance en jugement déclaratoire vise à faire déclarer que «toute règle concernant la nécessité d’obtenir des autorisations provinciales, y inclus toute règle d’opération et d’inspection en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement […], est constitutionnellement inapplicable» et «constitutionnellement inopérante» par rapport aux activités et aux installations de l’APQ et d’IMTT.
«Pour cette raison, le Ministère n’émettra pas de commentaires à cette étape-ci sur les suites qui seraient à donner à un tel projet», conclut Mme Lebel dans son courriel.
Le dossier d’IMTT est révélateur de la façon dont le provincial voudrait gérer les dossiers environnementaux sur le territoire du port de Québec.
L’entreprise a construit sept réservoirs de produits chimiques et pétroliers au terminal de vrac liquide de Beauport à partir de 2007, après l’obtention d’une autorisation fédérale délivrée par l’APQ.
Le ministère québécois de l’Environnement jugeait toutefois qu’il aurait dû être informé et donner aussi son accord. Il a donc exigé que l’entreprise se soumette a posteriori à la Procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement. Ce qu’IMTT-Québec a fait jusqu’à la décision de tenir des audiences publiques au BAPE. Conjointement avec le Port, il a alors été décidé de contester la compétence provinciale devant la Cour supérieure.
Selon la logique de Québec, le Port devrait donc soumettre son projet d’agrandissement au BAPE, mais le ministère de l’Environnement refuse d’en discuter pour le moment.
Procès long et complexe
C’est un procès long et complexe qui s’annonce pour déterminer quel gouvernement a compétence sur les terres portuaires de Québec. Cinquante jours d’audition seront nécessaires et une trentaine de témoins seront appelés. Des experts iront parler d’histoire, de géographie et même de droit seigneurial.
La date du procès n’a pas encore été fixée, mais devrait l’être bientôt. Les parties ont soumis leur déclaration de dossier complet, ce qui signifie qu’elles sont prêtes à procéder.
Les demanderesses, l’Administration portuaire de Québec et IMTT-Québec prévoient faire entendre 11 témoins, dont les grands patrons des deux organisations. Leurs trois experts viendront donner leur opinion sur «le statut du havre de Québec au milieu du XIXe siècle», la géographie du Port et «le tracé de la ligne des foins».
Titres historiques
Le procureur général du Québec, qui représente le ministère de l’Environnement, convoquera une douzaine de ses employés et assignera cinq experts : un cartographe et géohistorien, une professeure de droit, un notaire, un arpenteur-géomètre et même un expert en droit seigneurial et titres anciens.
Chaque partie tient en effet à asseoir ses droits sur le territoire visé sur des titres historiques. Le Québec remonte au XVIIe siècle et aux Jésuites. Le Port réfère à la Loi constitutionnelle de 1867.
Selon l’évaluation d’un juge, il faudra une cinquantaine de jours d’audition pour venir à bout de ce rôle. Ce qui veut dire que la cause s’étirera sur plus de deux mois et demi, en supposant qu’elle soit entendue en continu, ce qui n’est pas toujours le cas.