Des citoyens «prennent en main» la mesure de la qualité de l’air de Limoilou

ÉMILIE PELLETIER, Le Soleil, publié le 24 mai 2022

Du haut de son balcon au troisième étage d’un immeuble de Limoilou, Séréna Bilodeau voit les voitures passer sur les bretelles d’autoroutes et la fumée sortir de l’incinérateur. Mais c’est ce qu’elle ne peut pas voir et qui flotte dans l’air qui l’inquiète le plus.

Depuis deux ans, la jeune diplômée en environnement de l’Université Laval vit dans un appartement de la 1ère rue, dans le Vieux-Limoilou. Un quartier qu’elle considère «merveilleux», si ce n’est que la qualité de l’air la préoccupe.

Avec des contaminants nombreux en basse-ville de Québec, Séréna s’empêche déjà d’ouvrir les portes et les fenêtres, pour éviter qu’une poussière se dépose un peu partout dans son logement. Comme sur ses légumes, lorsqu’elle a tenté l’expérience «impossible» d’un jardin sur son balcon, l’été dernier. 

À cause d’une mauvaise qualité de l’air, quelque 300 personnes par année trouvent la mort prématurément à Québec, selon Guillaume Simard, citoyen engagé, professeur-chercheur et cofondateur de Revolv’Air. Dans le monde, ils sont 7 à 8 millions.

À cet égard, le rehaussement, en avril, de la norme sur le nickel dans l’atmosphère, n’en rien rassuré Séréna. Le port de Québec n’est qu’à quelques centaines de mètres de chez elle. «On sait qu’en vivant ici, à tous les jours, ça nous tue un petit peu plus, ça nous rend malades», témoigne-t-elle.

Comme elle, des citoyens de Limoilou sont inquiets pour la qualité de l’air dans leur quartier. Ils auraient préféré ne jamais mettre en application le proverbe voulant qu’on n’est jamais mieux servis que par soi-même, mais devant ce qu’ils qualifient d’un «manque d’empathie» du gouvernement du Québec, ils n’ont eu d’autre choix que de prendre les choses en main. 

Dans un quartier qui «se bat» depuis 10 ans pour une meilleure qualité de l’air, l’initiative Limoil’Air a vu le jour. Jusqu’à la mi-juin, 75 capteurs de particules seront installés sur des immeubles de résidents de Limoilou qui ont levé la main pour participer au projet qui vise à documenter en continu la présence de contaminants qui flottent au-dessus de leur tête, à l’aide de la plateforme Revolv’Air. 

Le premier a été installé mardi sur le balcon de Séréna Bilodeau. Quelque 150 personnes avaient proposé leur adresse pour en avoir un aussi. 

La mobilisation continue

À quelques rues de là, Mathieu Caron était le deuxième volontaire à recevoir le sien. Père de deux jeunes enfants d’âge primaire, il faisait aussi partie du collectif des parents inquiets de Limoilou unis cet hiver contre l’assouplissement de la norme sur le nickel. Un mémoire signé par plus de 900 parents plus tard, «la mobilisation ne va nulle part», regrette M. Caron, devant la décision du ministère de l’Environnement de quintupler la limite malgré tout. 

«Ça a envoyé un signal clair aux entreprises qu’elles peuvent polluer davantage, mais ça a aussi envoyé un signal clair aux citoyens, comme quoi il va falloir prendre les choses plus en main», encourage-t-il. 

Colère dans la voix, il ne comptait surtout pas en rester là. «On refuse le sentiment d’impuissance. Nous, les citoyens, on dit que ça suffit». 

Regrettant que le «fardeau de la preuve» revienne aux citoyens, le père de famille estime que les capteurs de particules fines que Limoil’Air répartira un peu partout dans le quartier permettront de mieux cartographier la pollution atmosphérique. Dans l’attente que le ministère de l’Environnement, qui ne dispose que d’une seule station d’échantillonnage en basse-ville, procède à d’autres installations. Une deuxième doit d’ailleurs être implantée, a promis le ministre Benoit Charette. 

La demande date pourtant d’il y a dix ans, se souvient Raymond Poirier, président du conseil de quartier du Vieux-Limoilou. Dans l’intervalle, le «manque d’informations» sur la pollution de l’air a mené à des «décisions qui ont un potentiel négatif sur la santé des citoyens», considère-t-il. 


« On se demande pourquoi ça tarde autant et pourquoi il faut quémander autant. On trouve que le gouvernement manque un peu d’empathie »— Raymond Poirier


C’est dans ce contexte, toujours en attente d’«actions probantes», que les trois conseils de quartier, soutenus par le député solidaire de Jean Lesage, Sol Zanetti et à la hauteur de plus de 30 000$ par le Fonds écoresponsable de la Caisse Desjardins de Limoilou, ont décidé de prendre action avec Limoil’Air. 

«Ce réseau ne vise pas à se substituer à un éventuel réseau étatique [qui] aurait dû être installé il y a déjà bien longtemps pour répondre à ce besoin qui a été moult fois répété», précise M. Poirier. Les données colligées pendant la prochaine année pourront peut-être cependant servir de «levier» pour la suite des choses, espère-t-il.

«Les citoyens méritent d’être tenus au courant de la qualité de l’air qu’ils respirent […] On va tout faire pour que ce dossier ne meure pas, tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas obtenu ce qu’on demande, promet-il. C’est-à-dire le droit de vivre sainement».

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«PAS UNE SITUATION DE NICKEL», DIT LE PORT

La ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, Geneviève Guilbault, la ministre déléguée aux Transports Chantal Rouleau et le pdg du port de Québec Mario Girard, en conférence de presse à Québec, mardiLa ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, Geneviève Guilbault, la ministre déléguée aux Transports Chantal Rouleau et le pdg du port de Québec Mario Girard, en conférence de presse à Québec, mardi [LE SOLEIL, ÉMILIE PELLETIER]

Les préoccupations sur la qualité de l’air à Limoilou ne datent pas d’hier. L’augmentation de la norme sur le nickel les a toutefois ravivées. 

En cette journée de déploiement de l’initiative Limoil’Air, le port de Québec recevait une aide financière de près de 11 millions $ de la part du gouvernement du Québec, pour procéder à la réfection d’infrastructures afin d’assurer sa «compétitivité». L’ensemble des travaux, prévus jusqu’en 2025, totalisera près de 33 millions $ répartis dans 14 projets de mise à niveau de quais situés dans le secteurs de l’anse au Foulon, de l’Estuaire et de Beauport. 

L’administration portuaire n’avait cependant rien à annoncer concernant le transbordement de minerais sous couvert. Parmi les investissements annoncés mardi, aucun sou n’y sera consacré, a confirmé le président-directeur général du port, Mario Girard. Le transbordement du nickel se fait déjà à couvert, au port de Québec.

Sans «banaliser» le nickel, le pdg du port soutient que «la situation dans Limoilou, c’est vrai que c’est une situation préoccupante, mais ce n’est pas une situation de nickel», qui ne représente qu’un «infirme pourcentage de ce qu’il y a dans l’air de Limoilou». Pour avoir un «portrait juste, global» de la situation, il faut aussi analyser les autres composantes qui flottent dans l’atmosphère, estime M. Girard.

Pour ce faire, la ministre responsable de la Capitale-Nationale, Geneviève Guilbault, s’en remet au comité indépendant mis sur pied en février et dont les conclusions sont attendues avant 2023. En attendant, elle est d’avis que la deuxième station d’échantillonnage à venir sera «mieux» qu’une seule.

«L’enjeu de la qualité de l’air dans Limoilou, il est préexistant au nickel et je vous prédis qu’un jour, si on ne parle plus du nickel, on va continuer de parler de la qualité de l’air à Limoilou si on ne fait pas cet exercice-là exhaustif de dire : “qu’en est-il de la qualité de l’air à Limoilou? Quelles sont les sources du problème s’il y en a un et quelles sont les solutions à ce problème-là?” Et c’est ça qu’on va faire», promet-elle.

L’argent avant la santé, selon Zanetti

Bien engagé dans la lutte contre la pollution de l’air, le député de Jean-Lesage, Sol Zanetti, juge «scandaleux» que des 11 millions $ annoncés pour moderniser des infrastructures du port de Québec, «pas un sou ne soit investi dans la sécurisation des opérations de transbordement sous couvert des minerais». 

«Encore une fois, la CAQ nous prouve qu’elle est plus préoccupée par intérêts financiers du port de Québec et des compagnies qui gravitent autour que par la santé des gens de Limoilou et de Beauport», écrit le solidaire dans une déclaration acheminée au Soleil.

Chaque année, 30 millions de tonnes de marchandises sont manutentionnées au port de Québec.

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