Entente de recherche controversée entre le Port de Québec et l’Université Laval

David Rémillard, Radio-Canada, 2021-04-18 | Mis à jour le 19 avril 2021

L’Université Laval et le Port de Québec ont convenu d’une convention-cadre de recherche en 2018, laquelle est toujours en vigueur.

« Une bombe », « un scandale », « des violations graves » : la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université ne manque pas de qualificatifs pour dénoncer certaines pratiques de recherche alléguées entre le Port de Québec et l’Université Laval. L’apparente obligation de taire la participation du Port dans certains travaux est particulièrement mal reçue.

La nouvelle, parue dans Le Soleil jeudi, est tombée au moment où les délégués de la fédération étaient réunis, virtuellement, pour l’une de leurs trois rencontres annuelles.

Le reportage relatait l’existence d’une convention-cadre […] en matière de recherche entre l’Administration portuaire de Québec (APQ) et l’Université Laval. Ce partenariat vise à unir les forces de l’Université et du Port pour réaliser des projets de recherche conjoints en mettant en commun leurs connaissances, savoir-faire et technologies, peut-on lire sur le site Internet de l’APQ.

Signée au printemps 2018, des collaborations de recherche en ont découlé depuis. Selon Le Soleil, qui a eu accès au contenu de cette convention, une clause de confidentialité sur la participation du Port de Québec est explicitement détaillée dans le document.

L’Université maintiendra en tout temps confidentielle la participation de [l’Administration portuaire de Québec] aux différents projets de recherche et s’engage à ne pas faire référence à la participation de l’Administration de quelque façon que ce soit sans l’accord écrit préalable de l’Administration, y est-il écrit.

Cette confidentialité est aussi exigée si les travaux devaient être réutilisés dans divers cadres académiques ou faire l’objet d’une publication scientifique.

Radio-Canada n’a pu mettre la main sur le document, mais tant l’APQ que l’Université Laval n’ont pas nié l’existence de cette clause.

« Une bombe »

La Fédération québécoise des professeures et des professeurs d’université (FQPPU) a réagi avec véhémence à cette exigence de confidentialité. Ces révélations sont consternantes et extrêmement problématiques, ont-ils écrit dans un communiqué diffusé vendredi.

En entrevue à Radio-Canada, samedi, le président de la fédération, Jean Portugais, était toujours renversé. C’est une bombe dans le milieu universitaire. […] Les gens sont estomaqués, a réagi celui dont l’organisation représente plus de 8000 professeures et professeurs de la province.

M. Portugais souligne d’emblée que des ententes de recherche entre les universités et le secteur privé sont courantes. Ce qui ne l’est pas, c’est d’exiger la confidentialité du partenaire privé.

La confidentialité et l’obligation de ne jamais dévoiler la personne qui finance, c’est contraire à toutes les règles éthiques en recherche, partout dans le monde, tranche-t-il. Tous nos chercheurs sont assujettis à une obligation de divulgation des sources [de financement].

La prestigieuse revue Nature communication, abonde dans le même sens dans sa politique éditoriale. Le rôle spécifique du bailleur de fonds dans la conceptualisation, la conception, la collecte de données, l’analyse, la décision de publier ou la préparation du manuscrit doit être divulgué, peut-on y lire.

M. Portugais croit que le milieu universitaire s’expose à une perte de confiance du public envers la recherche scientifique si de telles pratiques ne sont pas respectées. Ça survient à un moment où, et on l’a vu après un an de pandémie, il y a une confiance envers la recherche, envers la science, qui s’effrite dans la population, a-t-il déploré.

« Double discours »

La FQPPU en ajoute sur la liberté académique. Selon Jean Portugais, la rectrice Sophie D’Amours et les administrateurs de l’Université Laval tiennent un double discours. Si l’Université prône une liberté bienveillante en enseignement, comme l’a exprimé Mme D’Amours l’automne dernier, la Fédération s’interroge sur cette liberté en ce qui concerne la recherche.

« On ne peut pas d’un côté dire qu’il faut protéger la liberté académique, et de l’autre, signer des contrats qui protègent la confidentialité. » – Jean Portugais, président, Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université

Selon la FQPPU, seule une loi adoptée par l’Assemblée nationale peut protéger adéquatement la liberté académique des universitaires québécois et garantir les conditions nécessaires à l’exercice des missions de recherche et d’enseignement qui incombent aux universités.

Sur le rôle des professeurs qui ont accepté de travailler avec le Port de Québec dans le contexte de la convention de recherche, Jean Portugais croit qu’il n’ont rien à se reprocher. Ils n’ont pas de responsabilité. Ils sont victimes d’un système de financement défaillant. Si ces choses-là arrivent, c’est que le financement est rare, a-t-il plaidé.

Le Syndicat des professeurs de l’Université Laval a préféré ne pas réagir. Son président, Alain Viau, a cependant confirmé qu’il appuyait le communiqué de la Fédération, dont il est membre.

Des avis et non des recherches, dit le Port

Invitée à réagir aux propos de la FQPPU, l’Administration portuaire de Québec n’a pas parlé de projets de recherche conjoints dans le cadre de la convention signée avec l’Université Laval. Elle dit plutôt avoir demandé des avis sur des sujets en lien avec des activités portuaires ou des idées de projets à divers chercheurs.

Frédéric Lagacé, directeur Affaires publiques et Contenus stratégiques de l’APQ, confirme que l’entente de collaboration prévoit effectivement une collaboration financière.

Au sujet de la confidentialité réclamée, M. Lagacé soutient qu’elle ne viole pas les normes établies en recherche académique puisqu’il s’agissait ici d’une entente de collaboration qui a donné lieu à des avis pour le compte du Port uniquement.

Il ajoute que l’objectif premier recherché par le Port de Québec au moment de l’établissement de l’entente était, qu’advenant le cas où les résultats des avis puissent faire l’objet d’une publication scientifique, de pouvoir être informé préalablement avant la publication de ceux-ci .

Le tout dans le but de s’assurer de préserver la nature confidentielle des informations qui doivent le demeurer et aussi de s’assurer de la protection de sa propriété intellectuelle.

L’Université Laval a pris acte des interrogations soulevées par la fédération, mais a préféré ne pas commenter dimanche.

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