CARREFOUR DES LECTEURS, Le Soleil, publié le 24 février 2021
Ayant résidé dans cette partie de la ville une bonne partie de ma vie, la photographie de Patrice Laroche dans la rubrique D’hier à aujourd’hui du 20 février de l’intersection de l’avenue D’Estimauville et du boulevard Sainte-Anne en 1967 a révélé pour moi plus «qu’une impressionnante collection de poteaux électriques», mais plutôt un horizon dégagé, laissant voir toute la rive sud du fleuve, à perte de vue, depuis l’extrémité de cette voie, alors véritable avenue de bord de mer.
Quel contraste avec la photo de 2021, car, même si on y perçoit toujours la rive sud à partir du corridor constitué par les édifices en place, le regard se bute à l’extrémité, en zoomant, à la silhouette du viaduc de l’autoroute Dufferin-Montmorency et aux grues géantes du quai 53 du Port de Québec, secteur Beauport et du vrac problématique.
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L’avenue D’Estimauville est devenue cul-de-sac, sans perspective, sinon horrible.
On planifie actuellement dans ce secteur ce qu’on appelle «un écoquartier», alors que l’environnement a été détruit par les infrastructures élaborées en bordure et dans le fleuve, y empêchant tout accès.
Il faut retourner dans les années 1970 pour voir ce carnage, par la construction de l’autoroute Dufferin-Montmorency et par l’appropriation des rives et d’une partie du fleuve pour la construction du secteur Beauport du Port de Québec, sous l’appellation invraisemblable de «l’industrialisation des battures».Une cour de triage est venue coiffer le tout.
À l’époque, le ministre de l’Environnement du Québec, Marcel Léger, avait dit de l’autoroute Dufferin-Montmorency que le gouvernement péquiste élu depuis peu se résignait à achever: «on a hérité de la bêtise du siècle et on est pris avec». Concernant l’agrandissement du Port, il poursuivait ainsi: «avec le remplissage suggéré, le projet va tout détruire». (Le Soleil, 23 novembre 1978)
Le ministre Léger voyait juste. Son qualificatif, on le sait, peut s’appliquer à l’ensemble de l’œuvre qui a détruit ce secteur de la ville.
Alors que les erreurs du passé devraient être corrigées, le Port de Québec veut rajouter sur ce site, face à D’Estimauville, 31 hectares de remblai dans le fleuve afin de réaliser le projet Laurentia, en totale opposition avec la notion d’un écoquartier et de l’accès au fleuve que l’on veut privilégier à travers le projet Littoral-est.
La bêtise du siècle se répètera-t-elle?
Richard Gagné, Sainte-Pétronille