Labeaume et le dilemme de Laurentia

François Bourque, Le Soleil, publié le 19 décembre 2020

CHRONIQUE / Le maire Régis Labeaume n’a pas changé d’avis. 

Il entend la grogne et les inquiétudes de citoyens, y compris celles d’élus de sa propre équipe. Mais il garde le cap et maintient son appui au projet de terminal de conteneurs Laurentia.

J’ai profité de cet entretien de fin d’année, dans la lumière tamisée de son bureau, pour essayer de comprendre pourquoi.

Ce qui m’a d’abord frappé, c’est qu’à la différence d’autres projets controversés où il dénigrait les opposants, on sent cette fois une véritable sensibilité et un respect pour l’autre point de vue.

«Le monde est pas obligé de partager ma perspective», philosophe-t-il.

«L’atteinte au paysage, c’est sûr que c’est un problème. Je le sais que ça a un impact […] Les gens qui ne veulent pas que leur décor change, qui veulent que le fleuve reste tel quel, je comprends ça».

À ceux qui notent l’incohérence du projet Laurentia avec le plan de prolongement de la promenade Samuel-De Champlain vers Beauport, il répond que «dans l’absolu, tu as raison. Ils ont tous raison. Je le sais».

À l’argument de l’intérêt économique de Laurentia, il a aussi cette réponse qui plaira aux opposants : «Québec n’en a pas besoin».

Ce n’est pas comme si on avait un taux de chômage à 10 %, dit-il. La réponse serait alors différente. «Mais nos affaires vont bien».

À preuve, Québec battra en 2020 un record de mises en chantier résidentielles et plusieurs de ses entreprises ont continué de grandir.

Pourquoi continuer alors à appuyer le projet Laurentia? Pourquoi s’entêter si Québec n’en a pas besoin et que le projet a un impact négatif sur le paysage et la qualité de vie et divise autant les citoyens?

J’ai trouvé dans les réponses qui suivent beaucoup de lucidité et d’intelligence, malgré quelques contradictions, un peu de pensée magique et un certain fatalisme.

Transporter de grandes quantités de conteneurs sur de très gros bateaux laisse moins d’empreinte carbone que tout autre mode de transport (train, camion, bateaux plus petits, etc.), plaide M. Labeaume.

«Au niveau du développement durable, c’est clair que [Laurentia] c’est gagnant», dit-il.

Objectivement, il a raison.

Si un terminal à Québec permet que des conteneurs destinés au Midwest américain fassent une plus longue route sur le Saint-Laurent sur de plus gros bateaux, il restera moins de route à faire par train ou par camion pour atteindre Chicago.

Ce qui voudrait dire moins de carbone rejeté que si ces conteneurs sont déposés à New York ou dans un autre port de la côte est. À l’échelle continentale, Laurentia semble donc intéressant.

C’est au plan local que ce l’est moins.

Les citoyens de Québec ont-ils le goût de sacrifier leur paysage et de mettre à risque leur qualité de vie ou celle de l’air pour un bénéfice environnemental planétaire difficile à mesurer?

M. Labeaume a fait le choix de voir large, ce qui n’est pas un défaut, au contraire. Il a raison de rappeler que l’environnement n’est pas un enjeu qui s’arrête avec les frontières locales ou nationales.

L’ennui, c’est qu’il s’adonne à être le maire de Québec et que les citoyens s’attendent sans doute à ce qu’il représente d’abord les intérêts locaux avant ceux de la planète.

En endossant le projet Laurentia, M. Labeaume fait aussi le pari qu’un terminal de conteneurs permettrait à terme d’abandonner le vrac, qui est objectivement plus à risque que des boîtes de fer.

«Mario [Girard, pdg du Port] n’a pas le droit de le dire. Moi je pense qu’il faut que ça finisse le transbordement de vrac sur les quais. Ca sera toujours un problème potentiel».

Entre les conteneurs et le vrac, M. Labeaume dit choisir les conteneurs.

C’est ce qu’on choisirait aussi.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de choix à faire ici. Il est question d’ajouter un terminal de conteneurs. Pas de le substituer aux activités de vrac.

Le vrac est là pour rester encore longtemps, a rappelé cette semaine le pdg du Port, Mario Girard. Le vrac est là pour rester parce que le Port en tire des revenus dont il a besoin.

Penser que le vrac va disparaître des quais est certainement souhaitable, mais peu probable dans un horizon prévisible.

À moins que Québec décide tout à coup de rompre avec sa tradition maritime de plus de 400 ans et décrète qu’elle ne veut plus de port dans sa cour. Un scénario extrême que personne ne souhaite.

«Tu fermeras pas le Port. Il n’y a personne qui va fermer le Port», prévient d’ailleurs le maire Labeaume.

Le maire de Québec se sent dans un «catch 22», mot emprunté au titre d’un roman américain pour décrire un paradoxe qu’il est impossible de résoudre.

«Si j’ai le choix, j’aimerais mieux pas de conteneurs et pas de vrac», voire «pas de port du tout» ou seulement un «port de plaisance», dit-il.

Sur son élan, il en rajoute.

«Dans l’absolu, je veux pas d’industriel à Québec […] plus de Daishowa [l’entreprise s’appelle White Birch depuis 2004] […] Je veux juste du techno. À la limite je veux rien, je veux pas d’économie, juste une carte postale. Moi je pense de même».

Sauf que voilà.

«On vit en temps réel. Ça arrive pas de même», dit-il. «C’est pas comme ça que ça se passe» […] Il y a des dossiers de même où il n’y a pas d’issue».

Jusqu’à ce que s’installe, un jour peut-être, un ordre nouveau. Sans cheminées industrielles, sans nuisances, sans activités de transport dérangeantes pour la santé, la qualité de vie, le paysage ou l’environnement.

Mais ce jour n’est pas pour demain. Ce qu’on peut choisir maintenant, c’est si on veut altérer la vie locale pour servir l’intérêt supérieur du développement durable. Belle question, n’est-ce pas?

Le projet Laurentia va-t-il se réaliser? Le maire dit l’ignorer.

«Je pense que Mario [Girard] a de l’ouvrage en maudit».

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