Préservons les battures de Beauport

Blogue OPINIONS, Journal de Québec, publié le 26 novembre 2019

Mathieu D’Avignon, historien

Depuis que j’entends parler du projet d’agrandissement du port de Québec, je m’inquiète pour les battures de Beauport. 

Ce lieu n’est pas anodin. C’est d’abord un écosystème unique qu’il faut préserver. C’est aussi un site historique qui est lié à la fondation de Québec.

Dans son premier récit décrivant l’expédition de fondation de 1608 (paru en 1613) et dans d’autres, Champlain intègre des cartes et des dessins qui nous renseignent sur la faune marine et terrestre et la flore, sur les habitants autochtones qui accueillent ou repoussent les Français, sur la colonisation et le peuplement français le long des rives du majestueux fleuve Saint-Laurent (d’abord à Tadoussac, puis à Québec, au Cap-Tourmente et à Trois-Rivières), etc. Il intègre d’abord une carte illustrant les environs et l’habitation de Tadoussac. Puis, avant même d’inclure son dessin de l’habitation de Québec qui est connu mondialement, il ajoute une carte des environs de Québec.

Carte du Québec, dessinée par Samuel de Champlain en 1608. Bibliothèque et Archives Canada. e010764752

Carte du Québec, dessinée par Samuel de Champlain en 1608. Bibliothèque et Archives Canada.

On y voit notamment les battures de Beauport et des Français pratiquant la chasse aux oiseaux migrateurs. Champlain identifie plusieurs «Lieux où souvent les sauvages se cabanent» le long des rives. Avant même de montrer la construction, il s’intéressait à l’environnement, un aspect crucial pour la survie des Autochtones et des premiers Français à hiverner, mais aussi pour celle de la colonie naissante. Il pensait au territoire. Il reconnaissait du même coup la présence autochtone préalable au peuplement français.

Ses récits et une autre de ses cartes montrent que les Montagnais occupaient/peuplaient alors la région de Québec, mais aussi que diverses nations autochtones y venaient/vivaient à l’occasion. La tradition orale des Montagnais-Innus du Québec corrobore l’histoire écrite. Elle nous apprend que le lieu se nommait Uepishtikueiau en innu-aimun, ce qui signifie «là où la rivière rétrécit», que des Montagnais y ont accueilli les premiers Français et leur ont donné la permission de s’établir parmi eux. Le toponyme Québec provient de l’innu-aimun: les premiers Français invités à y «débarquer» ont mal interprété une invitation («kapak») et en ont fait un toponyme «français» connu mondialement depuis le XVIIe siècle.

Concernant l’étymologie du toponyme Québec lui-même, il devrait rappeler à la direction du Port de Québec et aux gouvernements que c’est bel et bien le lieu le plus étroit du fleuve. Réduire sa largeur à cet endroit précis, modifier ses rives naturelles davantage, construire de nouvelles infrastructures énormes, disons-le, accroître le nombre de navires transatlantiques y naviguant/s’y ancrant, spéculer sur les changements dans le débit/flot d’eau qu’amèneraient les deux marées quotidiennes après toutes ces modifications et changements faits, ça me semble irresponsable.

Comment cela modifiera-t-il le débit du fleuve à Québec, dans les battures de Beauport qui servent de bassin de déversement naturel, mais aussi en aval et en amont dans 10 ans, 50 ans, 100 ans? Quand je lis les rapports du GIEC qui annoncent, d’année en année, une montée du niveau des océans partout sur le globe qui sera bientôt problématique (cela il faut absolument en tenir compte), je me questionne sur les retombées environnementales et atmosphériques (pensons aux Vénitiens qui étaient aux prises avec un accroissement fulgurant des microparticules de combustible fossile qu’amenaient les bateaux de croisières transatlantiques, et aux gouvernements italiens qui ont choisi de préserver la ville et sa lagune, la santé de ses habitants).

Quand je me remémore les récentes inondations en basse-ville lors de crues printanières, quand je pense au patrimoine architectural et matériel qu’il y a là (on y trouve un musée national!), aux résidents qui habitent le Vieux-Québec, Saint-Roch, Limoilou, Beauport, Montmorency et Lévis quand je sais que la basse-ville de Québec repose en partie sur du remblai très ancien et plus moderne et que le fleuve pourrait éventuellement décider par lui-même de reprendre en tout ou en partie sa rive nord originelle sous le Cap-Diamant, je considère qu’accepter l’agrandissement du port de Québec tel que proposé par la direction du Port de Québec, serait une décision irresponsable de la part des gouvernements et de la population de Québec.

En lisant l’article Port de Québec. Ambitieux terminal de conteneurs de Jean-François Néron (Le Soleil, 16 novembre 2019), j’ai appris que ladite direction avait aussi l’intention de construire un mur «d’une hauteur maximale de huit mètres» pour cacher les infrastructures portuaires et les navires de la vue des plaisanciers de la plage de Beauport et des habitants/touristes venus voir Québec et le fleuve. Huit mètres! (Laissez-moi compter…) Ça fait 26 pieds de haut, ça! C’est haut en «tabanask» («traîneau» en innu-aimun)! Adieu, vue imprenable sur la rive sud, sur la tout aussi magnifique ville de Lévis, sur le courant lui-même et les flots du fleuve qui dansent et tanguent paisiblement, tout naturellement, depuis des millénaires! Je m’y oppose comme citoyen et comme résident de Beauport: je me sais privilégié de pouvoir aller marcher/faire du vélo/vivre paisiblement, seul et en famille, avec des visiteurs du Québec et d’ailleurs, le long du fleuve et à la plage de Beauport pour admirer la beauté des lieux. Je m’y oppose aussi comme historien qui connaît l’importance patrimoniale des battures de Beauport.

Des humains ont pensé et construit la ville de Québec au fil des siècles. Le fleuve lui a donné naissance.

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