Port de Québec: la pollution qui prend en otage

Le Soleil, section Point de vue, publié le 28 octobre 2019

 
JEAN ROUSSEAU
Conseiller municipal, Ville de Québec, Démocratie Québec

POINT DE VUE / J’ai récemment interpellé le Port de Québec pour ses activités polluantes. Lors d’un point de presse, j’ai affirmé que le Port «prend en otage des quartiers défavorisés» et qu’il expose leurs citoyens à «une plus grande pollution de l’air». En réaction, le maire de Québec, M. Régis Labeaume, partage mes préoccupations. «Ma vision est que tout le port devienne un port de transbordement de conteneurs et qu’il n’y ait plus de transbordement de matériel en vrac. Donc, plus aucun impact potentiel sur la population» a-t-il insisté.

À titre de conseiller municipal à la ville de Québec et membre de l’opposition, je joins ma voix à celle de nombreux citoyens, du maire et des politiciens fédéraux qui ont pris position contre le Port de Québec lors de la présente campagne électorale. Il est grand temps que l’administration portuaire de Québec cesse d’être un mauvais citoyen corporatif et soit ramenée à l’ordre. État dans l’État, le Port s’est battu pour que les règles environnementales québécoises ne s’appliquent pas chez lui. Un jugement récent de la Cour d’appel en vient aussi à la conclusion que les dispositions de la Loi québécoise sur l’environnement sont constitutionnellement inapplicables, donnant en partie raison à cette entité fédérale sous juridiction de Transports Canada. Le Port évalue à l’interne l’impact des futures activités de transbordement sur ses terrains existants. Malgré des séances d’information publique, il n’y a rien qui se compare à des processus d’audiences publiques.

Le premier recours collectif contre le Port de Québec, entrepris et gagné par Mme Véronique Lalande et M. Louis Duchesne, a démontré que les vents dominants balaient la poussière rouge du Port vers des secteurs de la Basse-ville. Les délibérations judiciaires ont permis d’apprendre que le Port et certaines entreprises disposent collectivement de près d’une douzaine d’échantillonneurs pour polluants atmosphériques. En 2015, le Port s’était engagé à rendre publiques ces données. En 2018, des valeurs moyennes pour les fines particules du secteur Limoilou ont été divulguées sur le site web du Port. Un premier pas, mais qui est incomplet. Qu’en est-il des données nécessitant des caractérisations chimiques? Qu’en est-il du secteur de l’Anse-aux-Foulons? J’ai demandé à ce que toutes ces données soient rendues publiques dans un souci de transparence; cela suppose un accès aux données brutes de chaque station, de manière à ce qu’elles soient validées par des experts, pour ensuite être diffusées. Des modélisations tenant compte des vents dominants permettront alors de savoir ce que les citoyens de la Basse-ville de Québec respirent. Ils ont une espérance de vie réduite de 8,2 ans, comparativement aux résidents de la Haute-ville de Québec. Une pauvreté accrue et des facteurs socio-économiques défavorables ne peuvent entièrement expliquer la différence.

Pour le PDG de l’administration portuaire de Québec, M. Mario Girard, ce sont les activités de camionnage qui seraient les principaux responsables de la pollution dans le secteur Limoilou. Il a affirmé que «97% de la poussière dans Limoilou ne peut pas provenir du Port de Québec». M. Girard devra sans doute défendre cette affirmation en cour lors des auditions pour le second recours collectif des citoyens Lalande et Duchesne. La station d’échantillonnage de l’air du ministère de l’Environnement du Québec du secteur Anjou de Montréal, située à proximité des autoroutes 40 et 25, mesure principalement la pollution de la circulation automobile. Les résultats sont inférieurs aux mesures réalisées à la station Limoilou du ministère, non loin de l’autoroute 440 ou Dufferin-Montmorency. En supposant que le camionnage est responsable en majeure partie de la pollution de l’air dans Limoilou et la Basse-ville, comme l’affirme M. Girard, quel sera alors l’impact du nombre quotidien de camions supplémentaires qui devront circuler dans le secteur Limoilou pour le projet d’agrandissement du Port dans la baie de Beauport?

La pollution due aux navires de croisières est aussi en hausse. Nous respirons le fioul de mauvaise qualité quand les navires sont à quai et nous voyons leur panache noir. Pourtant les navires devraient substituer en eaux territoriales canadiennes leur fioul pour un carburant contenant moins de soufre; Transports Canada ne vérifie que le «logbook» des navires et ne fournit pas de mesures des émissions polluantes de ces navires. L’industrie des croisières à Québec est en hausse et accueillera 400 000 croisiéristes d’ici cinq ans. En 2015, les différents paliers de gouvernement étaient prêts à financer l’équipement d’alimentation électrique pour un quai du Port de Québec. M Girard avait alors déclaré: «L’installation de l’alimentation à quai s’inscrit parfaitement dans la vision de développement durable de l’Administration portuaire de Québec. Ce projet est un geste de leadership environnemental pour l’industrie des croisières sur le Saint-Laurent et permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre». Depuis ce temps, M. Girard a changé son fusil d’épaule. Il juge qu’il y a trop peu de navires équipés et que ça ne vaut pas la peine d’investir. Pendant ce temps, les ports de la côte ouest-canadienne et américaine de San Diego, Long Beach, Los Angeles, San Francisco, Seattle, Vancouver et Juneau ont investi dans l’alimentation électrique à quai et accueillent un grand nombre de navires équipés pour l’alimentation électrique. Sur la côte est, le terminal de Brooklyn au port de New York, les ports de Halifax et Montréal ont de telles installations. En Europe, la pollution engendrée par les navires de croisière génère suffisamment de pression populaire pour que de nombreux ports investissent dans ces équipements d’ici 2025. Il y a déjà plusieurs navires équipés pour l’alimentation électrique qui accostent présentement à Québec, ce qui justifierait la mise en place de ces installations.

Abandonner le transbordement du vrac pour le transbordement de conteneurs, comme le propose le maire de Québec, est une solution partielle. Quel est l’avenir économique du port de Québec? Est-ce que nous assisterons au maintien des activités de vrac et la perpétuation des épisodes d’empoussièrement, ou verra-t-on le remplacement de ces activités par la réception de conteneurs et une pollution générée par le transport par camion? Avant que les gouvernements fédéral et du Québec n’investissent des millions de dollars dans un projet d’agrandissement du Port, j’en appelle au maire et aux élus des différents paliers de gouvernement pour qu’une vaste consultation publique se tienne sur les options économiques et environnementales envisagées. Le premier ministre, M. François Legault, a mentionné qu’il n’y avait pas d’acceptabilité sociale pour les pipelines au Québec. Il nous faut questionner l’acceptabilité sociale des activités présentes et futures du Port de Québec à la lumière de son bilan environnemental.

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