Le bassin Louise retourne aux planches à dessin

François Bourque, Le Soleil, publié le 23 novembre 2019

CHRONIQUE / L’ambitieux projet de quartier dense et animé au bassin Louise que le Port de Québec faisait miroiter en 2015 est aujourd’hui écarté.

L’idée d’un pôle «signature et rassembleur» n’est pas abandonnée, mais les visées du Port sont aujourd’hui plus modestes et on ne lui sent plus le même empressement ni la même motivation.

Le Marché du Vieux-Port a fermé, l’appétit pour les condos a fléchi, le projet de second terminal de croisières a été déplacé à l’embouchure de la rivière Saint-Charles, etc.

Bref, le contexte économique, social et immobilier a changé, de sorte que le plan de 2015 ne tient plus.

Les spectaculaires illustrations d’artistes qui montraient des tours de condos, un hôtel, des immeubles à bureaux et espaces récréatifs avec une «plage» de sable (sans accès à l’eau) ne sont désormais plus dans les cartons.

En fait, il ne reste plus rien de très concret dans les cartons, sinon un engagement du Port à préserver les espaces publics du bassin Louise et les percées visuelles sur le bâti patrimonial. Pour le reste, tout est à redéfinir.

Le Port revient ou presque à la case départ dans la recherche d’un «beau legs à la communauté», d’un «générateur de déplacements» et d’une vocation pouvant susciter l’adhésion populaire.

«On ne veut pas que ce soit un enjeu de chicanes à Québec», a expliqué cette semaine le pdg Mario Girard devant un parterre de gens d’affaires de l’Institut de développement urbain du Québec (IDU).

On peut comprendre le Port de ne pas souhaiter ouvrir un nouveau front de contestation. Il a beaucoup donné de ce côté ces dernières années avec ses projets et activités :

  • Construction de silos en pleine nuit à l’anse au Foulon et ajout contesté de silos à grain pour la Coop fédérée; projet de nouveau quai et de terminal de conteneurs à la baie de Beauport (projet Laurentia);
  • Croissance effrénée de l’industrie des croisières; consultations douteuses sur un second terminal de croisières; bruit et émission de poussière lors de manutention de vrac; projet (abandonné) de passerelle aérienne pour vélo sur la Pointe-à-Carcy, etc.

Il est probable que les gabarits et certains des usages décrits dans le plan 2015 du bassin Louise auraient ajouté à cette liste.

Des citoyens fourbissaient déjà leurs armes contre ce modèle de développement qu’ils identifiaient à «Monaco» et qui risquait, à les entendre, de privatiser le bassin Louise.

Sous cet angle, il est donc sage de revoir à la baisse les volumes à construire et de s’assurer de préserver les vues entre la haute-ville, le bassin Louise et les montagnes derrière. Et inversement, celles du plan d’eau vers la rue des Remparts et le Vieux-Québec.

Il serait cependant dommage que le Port renonce à construire et «habiter» le bassin Louise. Sa vision d’un quartier portuaire animé et multifonctionnel mérite un suivi.

Hormis pour la tenue de grands événements ponctuels (Québec 84, Transat, 400e, courses de canots à glace, expositions, festivals, etc.), le bassin Louise est peu utilisé par les résidents et visiteurs. Pas assez.

D’un point de vue urbain, il y a là un potentiel sous-exploité, pour ne pas dire gaspillé avec les immeubles abandonnés, espaces vacants et stationnements d’asphalte et de gravelle. Dans une ville maritime comme Québec où il y a peu d’endroits pour prendre une bière, un café ou manger au bord de l’eau, il y a là une occasion à saisir.

Au cours des derniers mois, on a assisté à la fermeture du Marché du Vieux-Port, au déménagement de Bordeaux fête le vin à Québec vers l’agora et à l’abandon de la pêche blanche au Village Nordik.

Cela illustre les difficultés de Québec à trouver une vocation durable pour le bassin Louise et relance une certaine urgence à y réfléchir.

L’acquisition récente du bâtiment de l’Espace 400e par la Ville de Québec pourrait en être le point de départ. Ce bâtiment, vacant (ou presque) depuis 2008, était jusque-là propriété du fédéral.

La Ville souhaite y loger des activités touristiques et culturelles qui restent à préciser.

Le Port de Québec, qui agissait jusqu’ici comme «promoteur » du bassin Louise, prend aujourd’hui un pas de recul.

Il se dit toujours intéressé à développer ce «super spot», mais «ce n’est pas notre priorité et ce n’est pas la mission du Port», expose le pdg Mario Girard.

Le Port estime qu’il ne ferait «pas autant d’argent avec ce projet» qu’avec les stationnements actuels.

«Un stationnement dans la gravelle, ce n’est pas beau, mais c’est payant et pas forçant», jette candidement M. Girard.

Se pose aussi un problème de juridiction. La question n’a pas été soulevée en 2015, du moins pas publiquement, mais le Port reconnaît ne pas avoir le pouvoir de développer du résidentiel sur son territoire.

Il lui faudrait obtenir une modification de ses «lettres patentes», une opération juridique compliquée à laquelle le ministère fédéral des Transports est réticent.

En théorie, les ports canadiens sont limités à des usages en lien direct ou nécessaires à leurs opérations portuaires.

Ils réussissent souvent à étirer l’élastique (spa, restaurants, etc.) mais on comprend que ce serait plus difficile pour du résidentiel.

Le Port de Trois Rivières tente depuis deux ans d’obtenir les pouvoirs de louer des espaces près de ses quais à des fins résidentielles, récréotouristiques ou commerciales.

Les pourparlers sont toujours en cours, rapporte M. Jacques Paquin, vice-président marketing et développement des affaires.

L’objectif du Port de Trois-Rivières est de déplacer ses opérations industrielles et portuaires vers l’ouest de son site. Il dégagerait ainsi des espaces pour des activités urbaines branchées sur le centre-ville voisin et le nouvel amphithéâtre Cogeco.

Le Port de Québec a une vision similaire pour le bassin Louise. Pas question d’y ramener des usages industriels.

Il en va cependant autrement de la baie de Beauport où le Port de Québec cherche à intensifier les activités industrialo-portuaires, malgré la proximité du centre-ville patrimonial et de la plage publique.

Le Port de Québec dit avoir terminé les «études techniques» requises à un développement du bassin Louise. Reste à savoir ce qu’il veut et ce qu’il peut y faire.

M. Girard a présenté à l’IDU un plan embryonnaire d’un «bassin Louise 3.0», après la mise au rancart des versions 1.0 de 2012 et 2.0 de 2015. Rien à voir cette fois avec les audacieuses maquettes d’artistes de 2015, ce qui confirme qu’on est encore loin du compte dans ce projet.

On retrouve sur ce plan des espaces à bureaux un peu à l’ouest de la marina du Vieux-Port; puis à côté, un pôle de divertissement (nature non précisée) et une zone d’hébergement de «fort gabarit» sur la gravelle à la tête du bassin. On y voit aussi de l’hébergement de «moyen gabarit» dans le stationnement ouest de l’ancien marché et des «espaces communs» sur le site du marché et sur le pourtour du bassin.

On y parle de «maintenir et bonifier» l’offre actuelle de stationnement, ce qui impliquerait des stationnements étagés.

Pour le reste, rien de précis encore. Si immeuble en hauteur il doit y avoir, ce sera uniquement à la tête du bassin Louise, là où il n’y a pas de points de vue à protéger.

M. Girard a invité les gens d’affaires de l’IDU à réfléchir à la vocation du bassin Louise et à soumettre des idées. J’imagine que ça vaut pour tout le monde.

«Pourquoi pas un espace pour se mettre les pieds dans l’eau», a-t-il lui-même suggéré en apercevant dans la salle le géographe à la retraite Léonce Naud, farouche et tenace promoteur d’un projet de plage.

C’est peut-être, après tout, le projet qui ferait le moins de vagues au bassin Louise.

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