François Bourque, Le Soleil, publié le 16 septembre 2019
Cela peut sembler inquiétant lorsqu’on découvre qu’une quinzaine de ces navires sont dénoncés comme étant parmi les plus polluants de leur industrie par des organismes de surveillance européens.
De grands médias comme The Guardian, USA Today, CNN ou Forbes ont fait échos ces dernières années aux palmarès de Friends of the Earth ou de Nature and biodiversity Conservation Union.
La méthodologie de ces études est parfois contestée par les lignes de croisières, mais il est un fait avéré que ces navires rejettent dans l’air des particules polluantes. Sans parler de la gestion souvent déficiente des eaux grises ou usées.
La réalité des croisières dans le Saint-Laurent est heureusement moins alarmante que celle décrite dans les ports européens. Du moins en théorie, car Transports Canada, malgré mes demandes répétées, refuse de dire si des inspections et suivis sont faits sur les navires de croisière.
Depuis 2015, ceux-ci doivent respecter une norme de 0,1 % sur les émissions de soufre (norme ECA pour Emissions Control Area). Ces normes sont beaucoup plus sévères que celles en vigueur ailleurs dans le monde (3,5 %).
Outre le Canada, la norme ECA est appliquée uniquement sur la côte Ouest américaine, dans la Mer du Nord et en Alaska.
Pour se conformer à cette norme, les navires qui entrent en eaux canadiennes doivent changer de combustible. Cela implique des manœuvres techniques et des coûts additionnels, le carburant «propre» coûtant plus cher.
Ces normes sont-elles respectées?
Les amendes sont fortes et «il n’y a pas de fly by night [voyou] qui a envie de jouer avec ça», croit le pdg du Port de Québec, Mario Girard.
Cela semble rassurant, mais le Port de Québec ne peut jurer de rien. La surveillance incombe à Transports Canada qui ne lui rend pas de compte ni sur ses inspections, ni sur les résultats de celles-ci.
Ce qu’on sait cependant, c’est que même si les normes étaient suivies, des particules nocives continuent d’être rejetées par les navires de croisière en mouvement et à quai.
Préoccupés par ces émissions, les gouvernements d’Ottawa et de Québec ont consenti en 2015 une aide de 10 millions $ pour doter le quai de la Pointe-à-Carcy (quai 22) d’un système d’alimentation électrique (shore power). Le Port devait fournir les 3,4 millions $ restants.
Un tel système permet de se brancher à quai et d’éteindre les moteurs pendant les escales. Le Port devait fournir les 3,4 millions $ restant pour compléter le montage financier.
Le pdg du Port de Québec, Mario Girard, avait à l’époque applaudi ce «geste de leadership environnemental». Cela «s’inscrit parfaitement dans la vision de développement durable» et va «réduire les émissions de gaz à effet de serre», s’était-il réjoui.
Le Port de Québec n’a cependant jamais donné suite au projet qui a depuis été abandonné.
M. Girard invoque aujourd’hui le bénéfice «insignifiant» du projet.
Pressée de s’autoapplaudir, l’administration portuaire avait juste oublié de faire l’analyse de son marché avant se réjouir publiquement.
À peine quelques-uns des navires qui viennent à Québec sont pourvus de l’équipement de branchement. Cela représente seulement 1 % du temps à quai, évalue-t-il.
Le Port évoque aussi une difficulté logistique à garer les navires électriques au quai 22, la priorité devant être donnée aux navires en embarquement et en débarquement.
Les marées posent aussi des contraintes. Un navire ne pourrait pas toujours être garé dans le bon sens pour pouvoir être branché. Sans compter que l’équipement à quai a la taille d’un autobus, ce qui est encombrant.
Mais c’est surtout que l’industrie des croisières «ne s’en allait pas là», dit avoir constaté M. Girard. À l’époque, l’industrie misait plutôt sur les filtres (scrubbers) pour réduire les émissions polluantes. Le Port a ensuite perçu que la tendance allait vers les navires propulsés par du gaz naturel liquéfié (GNL), moins polluant que le diesel actuel.
Québec s’est alors doté d’une installation mobile pour pouvoir approvisionner les navires en GNL.
Cela paraît bien, mais la réalité est qu’aucun des navires de croisière qui remontent le Saint-Laurent, ces années-ci, n’est propulsé au GNL. Pour l’heure, seuls des navires du Groupe Desgagnés utilisent ce service.
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Un rapport de l’Association internationale des lignes de croisière (CLIA) produit en août 2018 annonce une tendance vers le branchement électrique des nouveaux navires :
50 des 56 navires alors en commande (89 %) en seront pourvus ou sont dessinés pour pouvoir en accueillir.
Cela va s’ajouter aux 55 navires qui en sont déjà équipés et à 11 autres qui prévoient le faire. À terme, c’est plus de 40 % de la flotte qui aura fait un pas vers les branchements à quai.
Cela ne veut pas dire que ces navires prendront la route du Saint-Laurent, mais il est difficile de nier l’intérêt. M. Girard dit ne pas exclure de revenir à un projet de branchement électrique si cette tendance se concrétise.
En attendant, le Port de Québec se retrouve au même point qu’en 2015 à regarder tourner les moteurs des navires de croisières en essayant de comprendre où s’en va l’industrie.
Cela ne nous étonne qu’à moitié d’une organisation qui depuis des années, donne l’impression de naviguer à vue au gré des humeurs du moment de l’industrie maritime.
On l’a vu avec les silos qu’il pressait de construire sur le boulevard Champlain et qui sont restés vides des années; puis pour le projet de nouveau quai dont la vocation et la justification n’a cessé de changer. Aujourd’hui avec l’électrification sur les quais.
Malgré les explications données, le Port de Québec est manifestement à la traîne quant aux efforts d’électrification qu’on observe ailleurs dans les transports collectifs.
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Contrairement à Québec, le Port de Montréal a fait le choix de profiter des subventions offertes en 2015 pour se doter d’un système d’alimentation électrique à quai.
La réalité des deux ports est cependant différente, l’installation électrique de Montréal ne servant pas seulement aux navires de croisières, mais aussi à des navires en «hivernation».
N’empêche que depuis 2017, les navires de croisières peuvent s’y brancher. Lors de ses neuf visites à Montréal cet été-là, le Veendam a utilisé le système, ce qui a représenté 17 % des escales de croisières de la saison dans la métropole.
Lors de ses trois visites à Montréal cet automne, le Veendam sera aussi branché, ce qui permettra d’éliminer 25 tonnes de gaz à effet de serre, évalue l’Administration portuaire de Montréal.
«Nous savons que tous les navires ne sont pas encore équipés pour en bénéficier, mais, pour nous, ce projet nous permet de prendre concrètement le virage vert», plaide Mélanie Nadeau, directrice des communications au Port de Montréal.
«Nous croyons fermement que cette technologie aura des impacts positifs importants sur le moyen et long terme», dit-elle.
Pendant ce temps, faute de pouvoir se brancher, le Veendam, qui était chez nous vendredi et dimanche, continuera de brûler du diesel lors de ses six arrêts à Québec.
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UNE INSULTE À L’INTELLIGENCE
La consultation publique en cours sur le projet de deuxième terminal de croisière au Port de Québec est une insulte à l’intelligence des citoyens.
Comment prendre au sérieux une consultation lancée début septembre alors que le projet est déjà en chantier depuis le milieu de l’été?
L’Étude des effets environnementaux servant de base à cette consultation n’a été déposée que le 27 août dernier, un mois et demi après le début des travaux.
Les citoyens disposaient dès lors de 30 jours pour transmettre leurs mémoires ou commentaires, ce qui mène en théorie à la fin septembre. On se demande cependant à quoi serviront ces commentaires.
Les plans sont faits, la date de livraison est fixée et le Port de Québec n’a pas trouvé utile d’entendre ce que vous pourriez avoir à dire avant de planter sa pépine sur le quai des silos à grain, à l’embouchure de la rivière Saint-Charles.
Le pdg Mario Girard explique qu’il pressait de mettre le projet en chantier pour ne pas perdre une subvention du gouvernement. Tenir une consultation en plein été aurait été mal perçu dans le public, a-t-il analysé.
Comme si une consultation après le début des travaux ne risquait pas d’être mal perçue aussi dans le public.
En fait, je crois que c’est bien pire. Cela suggère un profond mépris pour le point de vue des citoyens. La petite journée de «portes ouvertes» tenue par le Port à la fin août pour tenter de faire passer la pilule n’y change rien.
Après les ratés du projet de silos à granules sur le bord du fleuve (construits en pleine nuit), les errements du projet de nouveau quai et de terminal de conteneurs et le projet farfelu de passerelle aérienne pour vélos sur le quai de Pointe-à-Carcy, on se serait attendus à plus de sensibilité publique.
Cette attitude me paraît contraire aux objectifs et valeurs que le Port dit lui-même vouloir suivre, soit : être «reconnu par la communauté comme un gestionnaire exemplaire de son territoire» et «développer et entretenir une relation Ville-Port respectueuse de la communauté».
Pour le respect, on repassera.
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Cela dit, je ne vois pas de scandale environnemental dans ce projet de second terminal des croisières. Celui-ci vise à remplacer des installations d’accueil temporaires pour l’accueil des croisiéristes.
Le projet est appuyé par la ville, les milieux d’affaires et l’industrie touristique. Il s’agit d’un investissement de 30 millions $ auquel le gouvernement du Québec (15 millions $) et la Ville de Québec (5 millions $) contribuent.
Le quai 30 où sera logé ce terminal, près des silos à grain, est déjà utilisé pour les croisières et le bâtiment d’un étage et demi qu’on va y construire n’aura pas d’impact significatif sur le paysage et l’occupation du sol.
Ce second terminal offrira plus de confort aux voyageurs et permettra de recevoir de plus gros navires (4000 à 5000 passagers) au quai 30.
Le Port assure que ce second terminal n’ajoute pas à la capacité quant au nombre de navires pouvant être accueillis simultanément. C’est à espérer, car il y a des signaux voulant que le Vieux-Québec atteigne déjà à certains moments un point de saturation.
On peut regretter ici que l’Étude des effets environnementaux menée par Norda Stelo sur le projet de second terminal ne touche pas mot de ce risque de surcharge du Vieux-Québec.
Cette étude n’aborde pas non plus la question des émissions polluantes par les navires de croisières dont les moteurs tournent en permanence, même à quai.
Pas fort pour une étude qui prétend s’intéresser aux effets environnementaux d’un projet.
Conformément à son mandat, Norda Stelo s’est arrêté aux seuls impacts de la construction d’un nouveau bâtiment sans se demander ce qui allait se passer autour. Cela rappelle les limites du processus de consultation suivi par le Port de Québec.
On est loin ici des enjeux larges régulièrement soulevés par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) québécois.
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LE VIEUX-QUÉBEC AU POINT DE SATURATION
Le seuil de 15 000 croisiéristes dans le Vieux-Québec, que dit respecter le Port de Québec a été atteint entre 10h et 15h dans la journée de dimanche.
En croisant l’horaire des arrivées et départs des 10 navires de la fin de semaine avec la capacité maximale de passagers de chacun d’eux, j’arrive à 14 973 croisiéristes en milieu de journée dimanche, soit tout près du seuil fixé par le Port.
Au total, près de 30 000 croisiéristes ont mis pied à terre à Québec au cours des derniers jours, ce qui en fait la fin de semaine la plus achalandée de la saison. L’autre grosse fin de semaine sera celle du 4 au 6 octobre avec un potentiel de 25 000 croisiéristes.
L’administration portuaire de Québec dit être sensible au risque de surcharge du Vieux-Québec et dit chercher à étaler la saison des croisières, plutôt que de grossir sa capacité d’accueil.
Le seuil de 15 000 visiteurs simultanés correspond au point de saturation au-delà duquel, les croisiéristes se marchent sur les pieds dans le Vieux-Québec. Cela augmente les délais d’attente sur les quais et dilue leur expérience-client et leur plaisir à découvrir Québec, analyse l’administration portuaire.
Sans parler de l’irritation pour les citoyens du quartier qui voient arriver cette déferlante. Certains citoyens et commerçants pourraient trouver que 15 000 croisiéristes, c’est déjà trop.
Pour éviter de dépasser le seuil, le Port de Québec demande à des lignes de croisières de modifier leur itinéraire.
La visite du MSC Meraviglia a ainsi été repoussée d’une journée cet automne. Des escales du Celebrity Summit (2018) et du Princess Cruise (2016) ont aussi été déplacées.
Deux cent trente mille croisiéristes sont attendus à Québec cet automne. L’objectif du Port est d’en accueillir 400 000 en 2025.