Un bilan de santé en demi-teinte pour le Saint-Laurent

Philippe Mercure, La Presse, publié le 27 mai 2019

Pendant deux étés consécutifs, des chercheurs ont sillonné le fleuve Saint-Laurent, de Sainte-Anne-de-la-Pérade jusqu’aux Grands Lacs, afin de prendre le pouls du plus majestueux de nos cours d’eau. Diagnostic général : si le fleuve n’est pas dans un état critique, il souffre de divers bobos… dont le fait que l’eau est impropre à la baignade dans près de la moitié des endroits sondés.

Bilan de santé global

Le projet a impliqué des chercheurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières, de l’Université McGill, de l’Université de Montréal, d’Environnement Canada et de bien d’autres. Pendant deux étés, les scientifiques sont montés à bord du Lampsilis, un navire de recherche, afin de prendre des échantillons d’eau du Saint-Laurent et des poissons qui s’y trouvent pour les scruter sous tous les angles. « On n’est évidemment pas les premiers à travailler sur la santé du fleuve Saint-Laurent. Mais auparavant, ça avait été fait sur des sections en particulier, ou pour étudier des problématiques précises. Ce projet a une portée plus globale », explique François Guillemette, professeur au département des sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

« Quelques bobos »

Et alors, il va bien, notre fleuve ? À la lumière de la myriade de résultats obtenus, le chercheur François Guillemette peine à trancher. « Sans dire que le fleuve est en bonne ou en mauvaise santé, disons qu’on a vu des bobos et qu’il va falloir s’en occuper », dit-il. Le chercheur incite à ne pas verser dans l’alarmisme en voyant certains résultats troublants. « Quand on se compare, on se console. On voit des endroits dans le monde, comme les fleuves asiatiques, qui sont bien pires », dit-il. Le chercheur précise que les analyses ont été faites l’été, par temps sec, alors que la pluie n’avait pas causé de surverses dans les égouts ni emporté les contaminants des terres agricoles vers le fleuve. Bref, il faut garder en tête que le fleuve était en forme pendant son examen.

Un problème d’E. coli

L’un des gros problèmes du fleuve est la présence de coliformes fécaux. Dans 44 % des endroits analysés, la concentration de la fameuse bactérie E. colidépassait le seuil acceptable pour la baignade. Les concentrations compromettaient tout usage récréatif (pêche, navigation) dans 16 % des endroits. Mauvaise nouvelle pour ceux qui aiment s’amuser dans l’eau, les eaux chargées d’E. coli tendent à rester le long des rives. Grâce à des analyses sophistiquées, les chercheurs ont pu déterminer si les coliformes provenaient de rejets des humains, du bétail ou des oiseaux. « Dans le Saint-Laurent, on n’a détecté que des sources humaines », dit François Guillemette, qui note que c’est en arrivant à Montréal que la qualité de l’eau chute. Selon lui, l’analyse illustre tout le besoin de la très attendue usine d’ozonation des eaux usées de Montréal.

Pesticides et terres rares

La question des pesticides a déjà fait les manchettes : les chercheurs en ont trouvé partout dans le fleuve, tant de l’atrazine et du glyphosate que des néonicotinoïdes, ces pesticides surnommés les « tueurs d’abeilles ». François Guillemette incite toutefois à ne pas être « trop alarmiste ». « Oui, on les détecte partout, mais la plupart du temps, ils sont en très faible concentration, bien en deçà des normes », dit-il. Ce n’est toutefois pas le cas des néonicotinoïdes, qui ont dépassé les seuils à certains endroits. Fait plus inusité, les chercheurs ont aussi mesuré les concentrations de terres rares, groupe de 17 éléments métalliques. On a ainsi découvert du gadolinium dans les eaux usées de Montréal, qui provient sans doute des hôpitaux, où il est utilisé comme agent contrastant.

Algues vertes, algues bleues

Les chercheurs ont également mesuré la teneur en chlorophylle de l’eau, qui donne une mesure de la quantité d’algues qu’elle contient. Un surplus d’algues signifie que l’eau est trop riche en phosphore et en azote, dont les algues se nourrissent. Dans ce cas, le portrait se dégrade au fur et à mesure qu’on descend le Saint-Laurent. Des données historiques montrent aussi que la situation est pire qu’il y a 20 ans. « L’urée, qui contient de l’azote, est très utilisée dans l’agriculture intensive. Elle est très peu assimilée par les sols et se retrouve dans l’eau », pointe François Guillemette. Les chercheurs ont aussi observé que les fameuses algues bleues commencent à dominer les algues vertes, en particulier en aval de Montréal et dans le lac Saint-Pierre, ce qui n’est pas bon signe.

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