Ces conteneurs qui décontenancent  

CHRONIQUE / L’entrée en scène d’un géant de la gestion maritime des conteneurs donne au projet du Port de Québec une crédibilité qui lui faisait jusqu’ici défaut. Ça ne répond pas aux autres questions importantes soulevées par l’agrandissement du port : impact sur l’environnement et le paysage, utilité économique du projet pour Québec, etc. Mais cela donne plus de vraisemblance à un projet de terminal de conteneurs perçu par plusieurs comme fantaisiste, vu l’absence de clients connus, l’éloignement des grands marchés du cœur du continent et la minceur des liens ferroviaires de Québec.

Hutchison Ports Holdings (HPH), déjà présent dans 51 ports et 26 pays, souhaite construire et opérer à Beauport un terminal automatisé en partenariat avec le CN. Le projet, jusque-là évalué à 400 millions $, vient de bondir à 795 millions $.

«C’est assez énorme», estime le professeur Jean-Paul Rodrigue, du département Global Studies & Geography de l’Université Hofstra (New York).

«HPH, c’est les ligues majeures. Il n’y a pas plus important dans le domaine.» Ils sont en relation «avec les plus gros armateurs du monde».

Que ce géant veuille faire de Québec sa «porte d’entrée» en Amérique est un des faits les «plus significatifs dans le Saint-Laurent depuis des décennies», perçoit-il.

La présence du CN «lance un message très fort aux investisseurs». «C’est la première fois qu’une compagnie ferroviaire investit dans un port».

HPH est un conglomérat enregistré aux îles Caïmans et basé à Hong Kong. Il a déjà tenté de s’installer aux États-Unis, mais ça n’a pas fonctionné. Peut-être à cause de la méfiance envers des intérêts chinois.

Son intérêt confirme le «potentiel» de Québec, croit M. Rodrigue. Il n’y a cependant «jamais de certitude». «On ne sait pas ce qui va venir.» Il y a dans ce genre de projet une part de risque. Un pari.

Dans le film Field of Dreams, Kevin Costner rêve au joueur de baseball Joe Jackson lorsque, à travers les plants de maïs de sa ferme, il entend une voix hors champ qui lui répète : «If you build it, he will come». Si tu le construis, il viendra.

Il est le seul à entendre la voix, mais construira le terrain de baseball. Comme d’autres construisent un amphithéâtre.

Conférencier recherché et auteur d’une trentaine de livres et articles scientifiques sur le transport maritime, M. Rodrigue connaît bien le projet de Québec.

Il y a trois ans, il avait évoqué le potentiel de Québec lors d’une présentation à Montréal. Le pdg du Port, Mario Girard l’a joint tout de suite après, curieux d’en apprendre davantage. L’idée des conteneurs était encore très embryonnaire et pas encore un projet. M.Rodrigue a depuis revu et conseillé le pdg du Port de Québec.

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L’entente avec HPH accrédite le scénario d’un port d’escale pour conteneurs à Québec, mais rien n’est joué encore.

Il faudra d’abord répondre à plusieurs questions encore.

Le projet est-il acceptable pour l’environnement et le paysage? 

Déplacer des conteneurs est moins risqué que transborder du vrac qui soulève de la poussière. Un terminal de conteneurs va cependant ajouter de la circulation sur les voies du CN et accroître le camionnage. Il faut en évaluer l’impact.

Allonger un quai de 610 mètres, remblayer le fleuve sur 14 hectares et draguer le lit du fleuve devant le nouveau quai va perturber des habitats naturels.

Le processus d’évaluation environnementale du fédéral se poursuit. Une dernière ronde de consultations est à venir et sera suivie d’un rapport final.

Le projet va par ailleurs altérer le paysage de la plage publique de la Baie de Beauport. L’horizon sur le fleuve va se refermer et sera assombri par un mur de conteneurs du côté ouest. Sans parler du bruit.

L’effort public des dernières décennies est allé à embellir les berges du fleuve et à en faciliter l’accès. Ce n’est guère compatible avec le projet de conteneurs Laurentia, nouveau nom donné à Beauport 2020.

Quel est le bénéfice réel pour Québec?

L’investissement projeté vient de passer de 400 millions $ à 795 millions $. Peut-être davantage si le projet prend du retard.

Un investissement accru signifie plus des retombées économiques quand on applique le modèle de calcul habituel.

Le Port parle de 500 millions $ de retombées et 1267 emplois/année pendant la construction. Par la suite, 84 millions $ de retombées par année et 800 emplois, dont 500 à Québec.

Ça reste à voir. On parle ici de décharger des conteneurs qui arrivent en bateau pour les mettre dans des trains et des camions et vice versa. Pas d’attirer des chercheurs et entreprises et créateurs de richesses. Il n’y aura ni transformation ni valeur ajoutée sur place.

Le haut niveau d’automatisation voudra dire moins d’emplois de débardeurs, mais peut-être davantage en logistique, informatique, au CN et dans les transports.

Il n’y a aucune garantie quant au nombre de conteneurs qui pourraient venir ni la moindre idée de leurs contenus. C’est bien difficile d’être précis sur les retombées à attendre.

Il est probable que le Port touchera des redevances ou un loyer ou les deux avec l’entente avec HPH, mais comme celle-ci est secrète, on ne peut que spéculer.

Quel est le coût public?

Le Port de Québec dit avoir sollicité les deux gouvernements pour le projet de terminal de conteneurs. Il refuse pour l’instant de dire pour combien.

Dans une version précédente du projet, le Port espérait 60 millions $ du fédéral. Il ne parlait pas alors du provincial.

S’ajouteront sans doute des coûts publics indirects, pour le réseau routier par exemple.

Il faut quand même du culot pour demander ainsi de l’argent au gouvernement du Québec dont le Port ne reconnaît pas la compétence quand vient le temps de mener les évaluations environnementales du projet.

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