Poussière rouge: indemnisation moindre, mais collective

ISABELLE MATHIEU, Le Soleil, publié le 5 février 2019

L’indemnisation sera moindre, mais elle sera collective, se réjouissent les citoyens victimes de l’épisode de poussière rouge venue du Port de Québec, le 25 octobre 2012.

Le juge Pierre Ouellet de la Cour supérieure a fait connaître sa décision mardi.

En considérant le temps moyen consacré au nettoyage et les troubles et inconvénients subis selon la zone, le tribunal établit la compensation à 200 $ pour chaque logement situé dans la zone rouge (Vieux-Limoilou) et à 100 $ pour ceux dénombrés dans les zones rose et bleue (Saint-Roch, Vieux-Limoilou, Vanier).

L’action collective avait été intentée en 2013 par Véronique Lalande et son conjoint Louis Duchesne après qu’un nuage de poussière d’oxyde de fer, poussé par le vent, ait recouvert plusieurs quartiers de la basse ville de Québec.

Au procès, les citoyens réclamaient un montant total de 4,2 millions $ pour compenser 20 000 personnes. Ils souhaitaient un montant de 300 $ pour chaque résident de la zone rouge et 150 $ pour la zone bleue.

La Compagnie Arrimage Québec, qui, peu de temps avant le procès, avait admis sa responsabilité, proposait plutôt un montant de 100 $ par porte, et ce, seulement pour la zone restreinte du Vieux-Limoilou.

Le juge Pierre Ouellet a pu entendre et lire les témoignages de 47 citoyens victimes de l’épisode de poussière rouge.

Certains gardaient un souvenir vif de l’événement alors que d’autres ont dit n’avoir vécu que peu ou pas d’inconvénient.

«On est rendu sur Mars!» s’était exclamé André Laviolette, de la rue de La Ronde dans Maizerets, en sortant de chez lui, au matin du 26 octobre.

Deux experts, ingénieur et chimiste, ont témoigné en demande et en défense pour expliquer comment, à leur avis, le panache de poussière rouge s’est dispersé dans les quartiers. Devant les nombreuses divergences d’opinions, le juge Ouellet a préféré donner la priorité aux témoignages des citoyens pour définir l’étendue de la dispersion de la poussière.

Comme dans la célèbre cause de Ciment Saint-Laurent, la constitution de zones était essentielle pour indemniser les citoyens «empoussiérés», estime le juge Ouellet, car le préjudice n’était pas le même sur tout le territoire. La détermination d’un montant uniforme par zone constitue «la meilleure façon d’établir une compensation juste et raisonnable, tant pour les citoyens que pour la défenderesse qui est appelée à compenser le préjudice réellement subi», conclut le juge Ouellet.

Dans le quartier Vieux-Limoilou, le préjudice a été prouvé pour chacun des membres, évalue la Cour. Juste à côté, au sud-ouest de la rivière Saint-Charles, le dépôt de poussière rouge a été moins intense, ce qui justifie, selon le tribunal, la création d’une zone «rose». Et pour ce qui est de la zone bleue, plus périphérique, le juge Ouellet a décidé d’en exclure, faute de preuve de préjudice, des secteurs dans Saint-Roch (entre Langelier et Jean-Lesage), Saint-Sauveur et Maizerets.

La Cour supérieure a opté pour une indemnisation par logement plutôt que par résident, comme le demandaient les citoyens.

Le juge rappelle qu’il n’y a pas eu d’atteinte à la santé lors de ce qu’il qualifie «d’incident isolé qui s’est produit en une seule journée».

Recouvrement collectif

Comme les citoyens, la Cour supérieure estime que le dossier de la poussière rouge doit se régler par une indemnisation collective et non sur une base individuelle, comme le demandait la Compagnie Arrimage Québec.

Il n’y a pas de risque de surindemnisation, tranche le juge Ouellet. Le périmètre des zones où il y aura indemnisation a été passablement réduit par rapport à la demande originale et l’indemnité a été restreinte à un montant par logement, selon la zone, et non par personne. «Arrimage et sa caution (Administration portuaire de Québec) sont loin d’être exposées à payer des sommes mirobolantes pouvant les amener à conclure à une injustice», écrit le juge.

Le jugement s’inscrit dans la philosophie de base des recours collectifs, ajoute le juge : indemniser des citoyens qui n’auraient pas intenté de recours individuels vu les petits montants en jeu.

Avant de procéder à l’indemnisation, les avocats des citoyens devront compléter leur preuve et déterminer encore plus précisément le nombre de logements existant dans les zones retenues par la Cour, en octobre 2012.

Au procès, l’expert des demandeurs dénombrait 5073 logements dans la zone rouge et 9268 logements dans la zone bleue. Ces chiffres seront revus à la baisse puisque la cour a réduit les zones.

Si le nombre de logements était resté le même que dans la requête, la Compagnie Arrimage Québec devrait verser 1,9 million $.

Victoire des citoyens

Ce recouvrement collectif, un cas très rare au Québec dans les dossiers environnementaux, est la plus grande victoire aux yeux des citoyens porteurs de la cause, Véronique Lalande et Louis Duchesne. «Ça montre que c’est une collectivité qui a vécu l’événement et non seulement des individus», se réjouit Mme Lalande.

Véronique Lalande croit que le présent jugement pourra nourrir le deuxième recours collectif, qui vise des dommages environnementaux causés par les activités portuaires sur une plus longue période. «Si une journée, ça vaut 200 $, combien ça vaut, neuf ans?» demande la citoyenne.

Ce procès pourrait se tenir dès septembre.

Le député de Québec solidaire Sol Zanetti, réside aujourd’hui dans Limoilou mais n’y était pas à l’époque de l’épisode de poussière rouge. Il se disait très content de cette victoire pour les citoyens qui vivent encore aujourd’hui avec une qualité de l’air inacceptable à ses yeux.

«On sent que le rapport de force est entre les mains des citoyens des quartiers centraux pour le prochain recours collectif, qui est beaucoup plus important», évalue-t-il.

Le port de Québec satisfait

Par voie de communiqué, l’Administration portuaire de Québec (APQ) a dit accueillir «avec satisfaction» le jugement de la poussière rouge. «Aujourd’hui, c’est un dénouement au bénéfice de toutes les parties intéressées», écrivent les autorités portuaires.

Le Port de Québec souhaitait que le tribunal définisse clairement la zone affectée, le nombre de demandeurs et le montant des indemnités pour qu’au final, les gens lésés soient indemnisés. «Dans cette optique, nous sommes satisfaits du jugement», peut-on lire dans le communiqué.

Le Port et ses utilisateurs répètent que, depuis les événements, ils ont bonifié les mesures de mitigation avec notamment un système de monitoring en temps réel, des canons à eau et des capteurs de poussières. «Ces mesures témoignent de l’engagement du Port de Québec afin que les plus hauts standards environnementaux soient respectés sur le territoire du Port de Québec», conclut l’APQ.

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LES ZONES RETENUES PAR LA COUR SUPÉRIEURE

Zone rouge (200 $ par logement)

Vieux-Limoilou : entre la 9e Rue au nord et la rivière Saint-Charles au sud, puis entre la rivière Saint-Charles à l’ouest et sa continuation vers l’est, jusqu’au boulevard des Capucins.

Zone rose (100 $ par logement)

Saint-Roch : entre la rivière Saint-Charles au nord-ouest à partir de l’axe du pont Drouin et de la rue de la Croix-Rouge et la rue du Prince-Édouard au sud, et ce, entre l’autoroute Laurentienne à l’ouest débouchant sur la rue du Prince-Édouard jusqu’au boulevard Jean-Lesage à l’est.

Zone bleue (100 $ par logement)

Vieux-Limoilou : entre la 15e Rue et la rue de l’Espinay au nord et la 10e Rue au sud et entre l’autoroute Laurentienne à l’ouest et le boulevard des Capucins se prolongeant, vers le nord, sur la 8e Avenue à l’est.

Vanier : entre le boulevard Wilfrid-Hamel au nord et la rivière Saint-Charles au sud, puis entre la rue Bourdages à l’ouest et l’autoroute Laurentienne à l’est.

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