Six ans et des poussières

Mylène Moisan, Le Soleil, publié le 20 octobre 2018

Six ans. C’est à quelques jours près le temps qui s’est écoulé depuis ce matin d’octobre 2012, quand Véronique Lalande s’est levée un matin avec l’étrange impression d’avoir été téléportée sur Mars.

Quartier où j’habite.

Depuis deux ans qu’elle y avait emménagé, elle avait déjà remarqué que c’était plus poussiéreux qu’ailleurs, même que Montréal où elle a habité, mais elle s’y était habituée. On s’habitue à tout.

Mais ce matin-là, elle a eu comme un électrochoc — elle l’a raconté mille fois —, et elle a décidé de chercher d’où venait cette poussière. Elle a trouvé. Et elle pensait naïvement que la compagnie Arrimage Québec et le Port de Québec, ou au moins le ministère de l’Environnement, allaient prendre les moyens pour que ça ne se produise plus. Pour arrêter de polluer l’air de la ville.

Mais non.

Six ans plus tard, la voilà au palais de justice de retour devant le juge Pierre Ouellet, à plaider sa cause pour un recours collectif visant à indemniser des centaines de citoyens. La compagnie et le Port ont nié l’évidence tant qu’ils ont pu pendant cinq ans, ils ont dû finir par admettre en mars qu’ils étaient responsables.

L’audience ne sert qu’à déterminer l’indemnisation qui sera versée aux gens.

On prévoit 18 jours de procès.

Imaginez, 18 jours de procès, 18 jours de salaire du juge, en plus des avocats. Le Port aurait déjà déboursé près de 3 millions $ pour se défendre.

J’y suis allée jeudi, c’est la première fois que Véronique, et son chum Louis, racontaient eux-mêmes ce qu’ils ont vécu. Véronique l’a souvent raconté dans les médias, on l’a raconté pour eux dans les autres étapes du procès, mais c’était la première fois qu’ils étaient debout devant le juge.

Pour raconter quoi?

Comment ils ont nettoyé leur maison.

Depuis le début des audiences lundi, 21 personnes étaient passées pour expliquer la même chose, comment ils avaient dû épousseter, récurer, nettoyer à grande eau. En utilisant différentes procédures juridiques, les avocats de la défense sont parvenus à réduire le débat sur la pollution d’un quartier au temps consacré à nettoyer la galerie et les bords de fenêtres.

Pas un mot sur la santé des gens.

Ni sur les parcs.

C’est ainsi que jeudi, on a visionné une vidéo d’une vingtaine de secondes nous montrant Louis à quatre pattes sur sa galerie en train de la nettoyer, suivie d’une photo où on voit une partie lavée et une partie qui n’est pas lavée.

Louis a fait du beau travail.
On nous a montré des photos de l’arrière de la maison, Louis expliquant l’heure à laquelle elles avaient été prises à partir de l’ombre de la corde à linge. Le diable étant dans les détails, il sait bien que la défense y cherchera une réplique, une faille pour discréditer son témoignage.

On s’est même penché sur le «dégoulinage» les jours de pluie, sur la nature des éponges utilisées, sur le pouche-pouche.

La semaine prochaine, la défense entend faire entendre des témoins qui viendront dire qu’il ne faut pas virer fou avec ça, que tout le monde lave sa galerie de toute façon, et que la poussière est allée moins loin que ce que soutient le recours collectif. Le pdg du Port, Mario Girard, viendra même témoigner.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé de tuer l’histoire dans l’œuf.

Au lendemain de la pluie de poussière rouge, Véronique a appelé la compagnie Arrimage pour porter plainte, un représentant de l’entreprise, Paul Dumont, a pris rendez-vous pour le vendredi, il s’est présenté avec un spécialiste en nettoyage pour constater les dégâts. La compagnie embauchée par Arrimage, Entretien ménager et d’édifices Capitale, est celle qu’emploie le Port pour nettoyer ses édifices.

Louis leur a montré l’extérieur, les murs et les toits rougis.

Véronique leur a fait le tour de l’intérieur, il y avait de la poussière rouge jusque par terre, autour des calorifères, le minerai était entré par les fenêtres ouvertes. Elle leur a répété que le problème ne se limitait pas à leur maison, mais à tout un quartier, au parc où va jouer leur petit Léo.

Une semaine après cette visite, M. Dumont s’est présenté un soir chez Véronique sans s’annoncer — Louis était à l’extérieur pour son travail —, il lui a remis une enveloppe en lui disant quelque chose comme : «Voici ce que nous vous donnons pour le trouble que nous vous avons causé. Le dossier est clos.»

À l’intérieur de l’enveloppe, un chèque tout nu de 600 $, même pas une lettre pour l’accompagner, même si Véronique lui avait dit de ne pas arriver avec un chèque tout nu. Au verso, il était écrit que ça compensait tous les inconvénients.

Véronique et Louis n’ont jamais encaissé le chèque.

Six ans plus tard, nous voilà encore au même point, à évaluer les conséquences des opérations d’Arrimage et du Port, qui veulent nous faire croire que ça se limite à deux ou trois rouleaux d’essuie-tout.

C’est beaucoup plus que ça, et ils le savent trop bien.

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