Annie Morin, Le Soleil, publié le 3 avril 2018
Brian Slack, désormais associé à l’Université de Montréal, a écrit un mémoire à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) pour appuyer l’agrandissement du Port de Montréal à Contrecoeur. Il se prononce sur le projet de Québec par la même occasion.
«Des suggestions ont été faites selon lesquelles la construction d’un terminal à conteneurs au port de Québec, où l’eau est plus profonde, éviterait la nécessité de construire une installation à Contrecoeur. C’est fantaisiste à la fois commercialement et en termes d’impacts environnementaux. Il n’y a aucun avantage commercial pour une compagnie maritime d’établir un service à Québec puisque le marché local est trop petit», écrit l’expert.
«La grande majorité des conteneurs devraient être transportés dans la région de Montréal et en Ontario. Les liaisons ferroviaires à Québec sont mauvaises et, par conséquent, la plupart des conteneurs seraient transportés par camion vers Montréal et au-delà», ajoute-t-il.
Un «cul-de-sac»
En entrevue téléphonique au Soleil, M. Slack rapporte ses discussions avec des armateurs de partout dans le monde. Ceux-ci sélectionnent les ports en fonction d’«un marché local garanti», à moins d’être au centre des mouvements internationaux, explique-t-il. Or, à Québec, moins de 10 % des marchandises conteneurisées pourraient être écoulées localement, contre environ 15 % à Montréal, calcule le professeur. Et le fleuve Saint-Laurent est un «cul-de-sac», un détour sur les grandes routes internationales.
«Ce n’est pas un jugement sur la qualité du port de Québec», insiste l’universitaire, qui croit qu’il y a encore de l’avenir pour le vrac dans la capitale même si «c’est moins sexy».
Le président-directeur général de l’Administration portuaire de Québec (APQ) présente le retour des porte-conteneurs à Québec comme une façon de redynamiser le Saint-Laurent puisque, selon lui, le trafic stagne à Montréal pendant qu’il augmente sur la côte est américaine. Mario Girard met de l’avant la profondeur d’eau naturelle de 15 mètres dans la baie de Beauport, où il veut installer le terminal de conteneurs, pour attirer les gros porte-conteneurs qui ne peuvent se rendre à Montréal, où le tirant d’eau est limité à 11,3 mètres.
Brian Slack réplique que le Saint-Laurent est un marché de niche qui n’attirera jamais les nouveaux géants des mers. Même les cargaisons de 6000 à 8000 conteneurs que lorgne Québec sont trop grosses, selon lui, car il faudrait charger et décharger à plusieurs endroits sur le Saint-Laurent, ce que les compagnies maritimes n’aiment pas faire.
«Dans un certain sens, ça nous protège parce que nous avons un marché qui ne peut pas être servi par beaucoup de compagnies», croit l’expert. «Si les Chinois viennent ici, ça va créer un problème pour les autres armateurs, qui sont très satisfaits [du service à Montréal]. Il faut y penser, défendre cet équilibre.»
M. Slack affirme également que la capacité du réseau ferroviaire à Québec ne suffirait pas à absorber les quelque 500 000 conteneurs en transition annuellement. Si bien que le camionnage prendrait la relève avec des impacts négatifs sur le réseau routier et l’environnement.
Les points de vue se rejoignent toutefois sur la nécessité de draguer éventuellement le fleuve pour que le port de Montréal continue de progresser. Le maire de Québec, Régis Labeaume, qui appuie l’agrandissement dans la baie de Beauport, en parle comme d’un désastre environnemental. Le professeur Slack croit au contraire que c’est faisable sans compromettre la santé du Saint-Laurent et déstabiliser ses rives.