Sébastien Tanguay, Le Devoir, publié le 2 juin 2022
La Ville de Québec n’entend plus naviguer à vue en ce qui concerne la qualité de son air. Elle promet de diffuser publiquement dès cet automne les données recueillies par les nouvelles stations de mesure que le Port, le ministère de l’Environnement (MELCC) et l’administration Marchand installeront, d’ici quelques semaines, en basse-ville.
Nul ne sait avec exactitude, pour le moment, le taux de contamination atmosphérique qui prévaut dans un quartier comme Limoilou, où l’espérance de vie est amputée de six années, en moyenne, par rapport à la haute-ville. Les sources de cette pollution font aussi l’objet de spéculations, mais d’aucune certitude fondée sur la science.
C’est pour dissiper ce brouillard que la Ville s’allie avec le Port de Québec, le MELCC et l’Université Laval afin de dresser un « portrait exhaustif » de la situation. Ces trois premières instances installeront de nouvelles stations d’échantillonnage dans Limoilou, tandis que l’expertise de l’université permettra de poser un diagnostic à la lueur des données récoltées.
La Ville de Québec ne dispose, à l’heure actuelle, d’aucune station pour mesurer la qualité de l’air, sinon celle située à proximité des cheminées de son incinérateur. Elle entend déployer trois outils de surveillance temporaires en basse-ville. Le MELCC, de son côté, promet d’ajouter une station permanente aux sept présentement installées sur le territoire de Québec.
« Pour nous, c’est une grande nouvelle, s’enthousiasme le maire, Bruno Marchand. Jamais, dans l’histoire de la ville, on est allé là. On passe à l’ère moderne. »
Le maire s’engage à rendre publiques les données recueillies dès l’automne. Les éventuels coupables, assure M. Marchand, n’esquiveront pas leur responsabilité. « Si c’est le Port, si c’est l’incinérateur, si c’est l’autoroute, si c’est X ou Y, on va être capables d’accepter ça. […] Personne n’est là pour se cacher. »
« Pourquoi ça change tout ? C’est que maintenant, ça va être public, souligne Bruno Marchand. Si des acteurs décident de se traîner les pieds, au moins, ça va être connu. À partir de ce moment-là, les gens pourront juger et pourront faire leur mobilisation en disant : “vous vous traînez les pieds parce que ce contaminant-là, vous en êtes responsable”. »
Le Port de Québec, longtemps montré du doigt comme un des principaux responsables de la contamination de l’air dans Limoilou, promet de divulguer les données recueillies par ses deux stations d’échantillonnage disposées dans le quartier. L’administration portuaire promet aussi de mettre une station d’échantillonnage mobile supplémentaire à disposition.
« On a un devoir collectif de rassurer les citoyens », souligne son p.-d.g., Mario Girard, qui se dit « résolument déterminé à être un citoyen corporatif exemplaire ».
« Le ministère a travaillé à l’envers »
L’annonce d’une surveillance accrue de la qualité de l’air dans la basse-ville de Québec survient quelques semaines après l’allégement de la norme concernant le nickel dans l’air, qui a multiplié par cinq la quantité désormais tolérée, chaque jour, dans la province.
La décision, vivement défendue par le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, avait provoqué une levée de boucliers à Limoilou. Le maire et le p.-d.g. du Port avaient demandé au ministre de suspendre l’application de la nouvelle norme. Ce dernier avait refusé de céder.
« Il ne faut pas mélanger les dossiers, il ne faut pas confondre les enjeux », a dit le ministre Charette pour se défendre, jeudi, en refusant de faire un lien entre l’allégement contesté de la norme et l’annonce, jeudi, d’une surveillance accrue de la qualité de l’air.
« On sait que cette modification de norme n’affectera pas la santé des gens du secteur ou la santé des gens ailleurs au Québec. » La Santé publique nationale, rappelle-t-il, l’a jugée inoffensive « pas plus tard que la semaine dernière ».
Le député solidaire de Jean-Lesage, Sol Zanetti, salue l’effort accru de surveillance de la qualité de l’air annoncé jeudi matin. Il déplore, toutefois, une opération de verdissement orchestrée par le ministère de l’Environnement.
« Si le ministre Charette pense que cette annonce va faire oublier aux gens de Limoilou et de Beauport sa hausse de la norme de nickel, il se trompe ! a réagi l’élu de Québec solidaire par communiqué. Il doit revenir sur sa décision de hausser la norme de nickel, point à la ligne. »
Le chef de l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville de Québec, Claude Villeneuve, applaudit lui aussi la surveillance accrue annoncée jeudi. Il blâme toutefois le ministère de l’Environnement et accuse le ministre Charette d’avoir « travaillé à l’envers ».
« Aujourd’hui, on admet qu’on a un besoin de parfaire les connaissances », déplore l’élu de Maizerets-Lairet. Il accuse le gouvernement d’avoir navigué à l’aveugle dans sa décision d’alléger la norme sur le nickel. « Même quand il y a des dépassements […], on ne sait pas à qui donner le ticket. On n’était pas prêts à augmenter la norme de nickel, et devant de telles observations, on devrait, s’il est possible de le faire, revenir en arrière. »