Recherche avec le Port: l’Université Laval concède «une confusion»

Ses explications ne rassurent pas la Fédération québécoise des professeur(es) d’université.

David Rémillard 2021-04-29 | Mis à jour le 30 avril 2021

La collaboration de recherche signée entre le Port de Québec et l’Université Laval pouvait « porter à confusion », admet l’administration de la rectrice Sophie D’Amours. Mais en pratique, cette entente n’a jamais violé les normes éthiques et la liberté académique, tranche la direction universitaire.

L’Université Laval a déployé l’artillerie lourde, jeudi, pour défendre son intégrité et celle de ses professeurs, deux semaines après les premières révélations sur un partenariat de recherche convenu il y a trois ans avec l’Administration portuaire de Québec.

La rectrice Sophie D’Amours, le vice-recteur exécutif Robert Beauregard et la vice-rectrice à la recherche Eugénie Brouillet ont chacun dégagé une heure dans leur agenda pour venir expliquer cette convention-cadre, signée au printemps 2018. L’entente prendra fin le 31 mai et ne semble pas en voie d’être renouvelée.

Cette mise au point est devenue nécessaire après la divulgation de certaines clauses de confidentialité incluses dans l’entente de collaboration.

Les associations étudiantes de l’Université Laval et de nombreux experts ont compris qu’on y prévoyait de taire la participation du Port dans les projets de recherche. Une clause semblait également indiquer qu’on accordait à l’administration portuaire un droit de regard en cas de réutilisation ou de publication des résultats à des fins académiques.

« Confusion »

Or, il s’agirait d’un malentendu et d’une erreur de rédaction, selon l’Université Laval. Plutôt que de lire projets de recherche dans les clauses problématiques, il aurait plutôt fallu parler d’avis d’expertsLa formulation pouvait effectivement porter à confusion, a affirmé Eugénie Brouillet. Des constats partagés par la rectrice.

« Ça aurait pu être écrit autrement. Ça aurait pu être plus spécifique.» Sophie D’Amours, rectrice de l’Université Laval

Les projets de recherche et les avis d’experts figurent parmi les tâches prévues à la convention collective des professeurs, a renchéri son collègue Robert Beauregard. Mais les balises de ces pratiques sont bien différentes.

Dans le cas des avis d’experts, il est commun chez les organisations qui font affaire avec des professeurs universitaires de demander la confidentialité. Surtout lorsqu’il s’agit de questions précises sur des projets plus sensibles ou qui risqueraient de divulguer les orientations d’un développement stratégique.

L’Université Laval compte quelque 1300 partenariats de recherche actifs chaque année, au public comme au privé. Du nombre, 600 sont des avis d’experts et environ 300 exigent la confidentialité.

On a soutenu qu’il relève de la liberté académique de produire des avis sur des projets divers, même si ceux-ci ne font pas consensus dans la société.

Les avis font partie du service à la collectivité rendu par les professeurs de l’Université Laval, selon M. Beauregard. On n’est pas dans une tour d’ivoire, a-t-il ajouté, insistant sur le fait que l’institution est impliquée dans son milieu.

Dans ce contexte, le Port de Québec est un partenaire comme un autre, selon la rectrice.

Ces avis d’experts, selon Sophie D’Amours, sont produits en toute indépendance, et ne servent pas à faire plaisir aux partenaires concernés. Elle plaide que les professeurs ont la responsabilité de préserver cette intégrité lorsqu’ils s’entendent avec un partenaire. J’ai confiance en nos professeurs, ils sont professionnels, ils honorent leur profession, a-t-elle dit.

Les projets de recherche, lesquels visent à faire avancer les connaissances, ont par définition une nature publique. L’Université Laval assure que si de tels travaux avaient émané de l’entente avec le Port, toutes les règles éthiques de la Politique de bonne conduite en recherche en vigueur à l’université auraient été appliquées.

La divulgation des partenaires et des sources de financement est alors obligatoire.

Pas applicables

Sauf qu’aucun projet de recherche à proprement parler n’a été réalisé en vertu de l’entente. Et c’est d’ailleurs ce qui aurait mené à la confusion évoquée.

Pour la petite histoire, l’Université Laval soutient que le projet initial de collaboration avec le Port de Québec visait à couvrir large, sous la forme d’une entente parapluieAu départ, on pensait que ça pouvait mener à des projets de recherche, a-t-on expliqué.

Finalement, seuls quatre avis d’experts ont été produits, impliquant une dizaine de professeurs au total. Les clauses plus larges ont cependant été laissées telles quelles et semblaient couvrir les projets de recherche. Mais elles n’auraient pas pu être applicables, selon Eugénie Brouillet.

Sur le fait que le Port de Québec parle lui-même de projet de recherche sur son site Internet en référence à l’entente avec l’Université Laval, la rectrice Sophie D’Amours s’en est dissociée. Le Port publie ses choses, on publie les nôtres, on essaie d’être le plus clair possible.

Les critiques peu convaincus

Les associations étudiantes de l’Université Laval, qui ont pu assister à la présentation jeudi, en sont sorties avec l’impression que la direction voulait minimiser les dégâts. On voit qu’on ajuste peu à peu le discours au fur et à mesure, a observé Cyndelle Gagnon, présidente de la Confédération des associations étudiantes de l’Université Laval (CADEUL).

Selon elle, la direction aurait admis ces erreurs plus directement, mais en coulisses, lors d’une rencontre avec les associations étudiantes il y a deux semaines.

Avec le projet Laurentia, la zone d’innovation du Littoral Est et maintenant l’entente de recherche, Mme Gagnon exige de la direction qu’elle soit plus transparente sur ses liens avec le Port de Québec.

« Même si [la rectrice] dit qu’elle fait confiance aux professeurs, on n’est pas certain que c’est réciproque. » Cyndelle Gagnon, présidente de la CADEUL

Le doute persiste aussi du côté de l’Association des étudiant(es) de Laval inscrits aux études supérieures. Comme la CADEULConfédération des associations étudiantes de l’Université Laval, elle n’est pas rassurée sur le processus de conclusion des contrats de recherche, dont on souhaite une refonte.

Au-delà du débat sur l’entente avec le Port, son secrétaire exécutif, Jason F. Ortmann, ne comprend pas pourquoi il revient à l’Université Laval de réclamer la levée de la confidentialité auprès d’un partenaire de recherche. Il y a un trou dans la continuité du processus. […] Il faudrait que ce soit [automatique], a-t-il dit.

Entorses à l’éthique

La Fédération québécoise des professeur(es) d’université (FQPPU) n’est pas davantage rassurée. Qu’elles s’appliquent à des avis ou des projets de recherche, les clauses de la convention avec le Port ouvrent la porte à [des] entorses à l’éthique et à la liberté académique, a-t-on ajouté par écrit.

« Il demeure préoccupant que l’entente prévoie des modalités contraires aux règles et aux pratiques applicables en recherche universitaire. » Extrait d’un communiqué de la FQPPU

Pour la fédération, le cœur du problème demeure le manque de financement en recherche. Les universités sont encouragées à diversifier leurs sources de financement de recherche et ainsi pallier un manque à gagner dans le financement public de la recherche. Cette situation est susceptible de les placer dans une situation de vulnérabilité, argue l’organisation.

La Syndicat des professeurs de l’Université Laval, de son côté, fait preuve de prudence. Son président, Alain Viau, n’avait toujours pas lu l’entente avec le Port, jeudi. Si la direction dit vrai et qu’aucun chercheur n’a été brimé ou muselé, il se dit en partie rassuré.

Il croit cependant que l’Université Laval doit s’assurer qu’une telle erreur ne puisse se reproduire. Il maintient également que l’institution ne devrait pas s’afficher publiquement auprès du projet Laurentia.

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