Joly pas contre un nouveau projet du port de Québec, mais dans les bonnes conditions

OLIVIER BOSSÉ, Le Soleil, 30 juin 2021

Au lendemain de la mise à mort du projet d’agrandissement du port de Québec, la ministre fédérale du Développement économique, Mélanie Joly, n’a pas fermé la porte à accueillir un nouveau plan d’expansion redessiné.

«Mais il faut bien faire les choses. Il faut aussi avoir les bonnes personnes impliquées dans le projet et que la population puisse participer», a affirmé Mme Joly, mercredi midi, à Québec, juste avant de participer au dévoilement du plan d’action de Québec International.

La ministre Joly n’a pas voulu spécifier ce qu’elle entend par «les bonnes personnes». Il est quand même permis de croire que la présence dans le projet du géant chinois de l’industrie portuaire Hutchison Ports indisposait Ottawa.

«Ce n’est pas compliqué : des scientifiques [de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada] nous ont dit que c’est un projet qui va à l’encontre de l’environnement et à l’encontre de la santé des gens. Alors nous, on se fie à l’expertise de nos scientifiques et on a pris une décision basée là-dessus. Ce n’est pas plus compliqué que ça!» a résumé Mme Joly.

Mais pas impossible pour le port de présenter au fédéral une nouvelle version bonifiée de son projet Laurentia, lui-même une deuxième mouture de ce qui s’appelait à l’origine Beauport 2020.

«Pourquoi pas? répond la ministre Joly. La porte n’est jamais fermée. Mais en même temps, il y a des principes de base qu’il faut respecter. Il faut que les gens de la région, dans Limoilou et proche de Beauport, tout ça, il faut que leur santé soit protégée et en même temps, il faut que notre faune, notre flore soient également protégées. C’est la base», a-t-elle indiqué, s’affirmant «convaincue qu’il y a des gens très intelligents ici, à Québec, qui vont nous arriver avec d’autres bons projets et ça va nous faire plaisir de les aider et de les soutenir».

Avec Guilbault et… Fitzgibbon!

La ministre Joly était à Québec mercredi pour participer à deux annonces économiques. En matinée, elle dévoilait une contribution de 57,25 millions $ de la part de son gouvernement à l’intention de l’Institut national d’optique (INO).

Sur l’heure du midi, elle prenait part à une conférence de presse de Québec International, en compagnie entre autres de la ministre québécoise responsable de la région de la Capitale-Nationale, Geneviève Guilbault.

Les deux ministres de paliers gouvernementaux différents avaient discuté la veille à propos du refus du fédéral d’aller de l’avant avec Laurentia. Elles en ont profité pour réitérer publiquement leurs positions, opposées, en marge de la conférence de presse.

Mme Joly a aussi mentionné en avoir parlé mardi «avec la ministre Guilbault, avec le… député Pierre Fitzgibbon»! À cause d’un potentiel conflit d’intérêts, M. Fitzgibbon n’est plus ministre de l’Économie du Québec depuis le 2 juin, près d’un mois. Il semble toutefois continuer à en mener large au sein du gouvernement Legault.

«C’est difficile pour nous de comprendre comment on peut ne pas souhaiter un deuxième terminal sur notre Saint-Laurent, ici, au Québec, s’est exprimé la ministre Guilbault, mercredi midi, soulignant la grande déception de son gouvernement.

«Pour faire entrer des marchandises qui, de toute façon, vont devoir entrer ailleurs. C’est de laisser la place aux États-Unis, de laisser la place à d’autres endroits plutôt que d’avoir ça ici, à Québec.»

«Renaître de leurs cendres»

Elle espère bien que le fédéral sera ouvert à recevoir une nouvelle proposition du port.

«J’espère qu’ils vont pouvoir renaître de leurs cendres, qu’on va être capable de faire un nouveau projet. Parce qu’il faut être capable d’accueillir des plus gros conteneurs, de faire entrer ici des marchandises qui actuellement ne peuvent pas entrer. […] On sera en mode solutions, en mode collaboration. J’espère qu’on va pouvoir travailler avec le gouvernement fédéral et le port sur un nouveau projet pour que notre capitale nationale puisse s’inscrire dans cette chaîne de transport maritime international», souhaite Mme Guilbault.

Sur le fait d’y voir une décision purement électorale, alors que la possibilité d’élections très prochaines se fait sentir au fédéral, Mme Guilbault s’en tient à dire de «voir la géographie des choses».

La circonscription fédérale de Beauport-Limoilou, où se trouve le port, appartient au Bloc québécois, depuis deux ans. Les électeurs du comté avaient penché pour les conservateurs dans quatre des cinq mandats précédents, avec un intermède néo-démocrate lors de la vague orange de 2011.

Le candidat libéral a fini troisième lors des deux derniers scrutins, chaque fois à court du deuxième rang par quelques votes.

Labeaume : «Allez voir Mme Savard!»

Plus tôt en matinée, le maire Régis Labeaume avait refusé de se prononcer sur la décision d’Ottawa de laisser tomber le projet Laurentia.

«Allez voir Mme Savard! À un moment donné, il faut que je m’efface un peu», a tranché M. Labeaume, référant à celle qu’il espère voir lui succéder à compter du 7 novembre, Marie-Josée Savard. Le maire actuel dit ne plus vouloir se prononcer publiquement sur l’avenir du port et du troisième lien, deux sujets très chauds.

En fin de journée, la candidate Savard s’est exprimé par communiqué, elle qui s’était montrée défavorable au projet. Mais comme Mmes Joly et Guilbault, celle qui veut devenir mairesse de Québec non plus de met de côté une nouvelle proposition d’agrandissement.

«Le projet Laurentia, dans sa forme actuelle, aurait généré trop d’impacts négatifs pour la population et il nous était par conséquent impossible de l’appuyer. Les commentaires reçus dans le cadre des consultations sur le projet Laurentia devraient permettre au port de mieux cerner les attentes des citoyens.nes. Pour la suite des choses, il en revient à l’administration portuaire de travailler une nouvelle proposition qui sera en harmonie avec le milieu et qui récoltera une meilleure acceptabilité sociale», a commenté Mme Savard.

Des pour, des contre

Le président et chef de la direction de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec a pour sa part affirmé son mécontentement par rapport au refus d’un projet «souhaité par une forte majorité des entreprises et des gens d’affaires de Québec. En plus des investissements de 775 millions $ pour notre région, dont la majorité provient de sources privées, il s’agit d’une occasion unique de positionner Québec comme une plaque tournante à l’échelle continentale et internationale», a dit Steeve Lavoie par communiqué, parlant d’«une opportunité ratée pour l’économie de Québec».

Du côté de la Table citoyenne du Littoral Est, qui combattait «ce projet écocidaire qui ne correspondait pas aux critères du développement durable et au développement économique», on se réjouit.

Par contre, l’inquiétude subsiste quant à une future nouvelle proposition. «Nous espérons que le port et le gouvernement fédéral mettent définitivement terme aux expansions portuaires dans le fleuve Saint-Laurent lorsque des communautés et des gens vivent à proximité», a déclaré par communiqué Simon Parent, membre fondateur de ce regroupement citoyen.

Le Comité de vigilance des activités portuaires (CVAP), créé en 2013 par la ministre de la Capitale-Nationale de l’époque, Agnès Maltais, et du maire de Québec, Régis Labeaume, en réaction aux épisodes de poussière rouge, parle dans son communiqué d’«un soulagement».

«Récemment, le CVAP constatait que les mesures de mitigation proposées par le Port n’étaient pas satisfaisantes», ont constaté les membres de ce comité, qui «poursuivra son travail avec les partenaires et sa collaboration avec le port de Québec sur leurs opérations existantes et futures».

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