Revitalisation du Vieux-Port de Montréal – Le défi de la cohérence ou comment innover dans la continuité

Michel Gariépy et Phyllis Lambert – Respectivement urbaniste émérite et professeur émérite à l’Université de Montréal, et architecte. Lettre ouverte publiée par Le Devoir le 3 mars 2016.
Le site présentement à l’étude incorpore la Pointe-du-Moulin et le Silo no 5, un territoire essentiel à une pleine mise en valeur du Vieux-Port.
Le site présentement à l’étude incorpore la Pointe-du-Moulin et le Silo no 5, un territoire essentiel à une pleine mise en valeur du Vieux-Port. (Photo: Olivier Zuida, Le Devoir.)

En 1986, à la suite de consultations publiques comme Montréal n’en avait jamais connu, le Plan directeur du Vieux-Port était adopté. Ce plan s’est inscrit à contre-courant des deux tendances dominantes à l’époque pour le réaménagement des friches portuaires : celle des Festival Market Places, qui consistait en la transposition sur des espaces portuaires devenus obsolètes de centres d’achats, par exemple, le Quincy Market de Boston ou le Baltimore Harbor ; et celle d’un développement immobilier intensif et privatif d’espaces très convoités parce que situés à la fois en bordure de cours d’eau et à proximité des centres-villes, la perspective initialement favorisée par le gouvernement fédéral.

Il devait se concrétiser de 1989 à 1992 et doter Montréal, à partir d’un budget limité et d’équipements modestes, toutes proportions gardées, d’un site original, polyvalent et en harmonie avec l’histoire du lieu, d’un site que la population s’est rapidement approprié et qui devait devenir sa destination touristique première.

Ce résultat a été obtenu de haute lutte : le conseil d’administration de la société Le Vieux-Port de Montréal d’alors a persuadé le gouvernement fédéral de faire appel au génie créatif d’ici plutôt que d’y parachuter des idées venues d’ailleurs, et surtout d’arrimer la démarche d’élaboration aux volontés exprimées par la société civile. Le processus mis en place pour consulter la population fut tout à fait original. Avec trois autres dossiers d’aménagement urbain, ceux de l’avenue McGill College, du Quartier international de Montréal et de Milton-Parc, il devait être à la base de cette tradition d’urbanisme participatif qui caractérise depuis les aménagements urbains d’envergure à Montréal.

Nouveau plan directeur

La Société immobilière du Canada (SIC), à laquelle a été amalgamée la société Le Vieux-Port, a lancé, il y a quelques mois, une opération pour élaborer un nouveau plan directeur pour la revitalisation du Vieux-Port. Tout d’abord, le site à l’étude incorpore cette fois la Pointe-du-Moulin et le Silo no 5, un territoire complémentaire et essentiel à une pleine mise en valeur du Vieux-Port. Surtout, la démarche veut à nouveau prendre pleinement appui sur la société civile pour réactualiser la définition des besoins et parvenir à ce nouveau plan directeur.

Ainsi, s’est tenu, en 2010, un exercice de prospective, de « visioning [sic] » ayant mis à contribution plusieurs acteurs de la communauté montréalaise et permis de dégager cinq « piliers » d’une vision d’avenir. Un comité-conseil qui compte des représentants de groupes d’intérêt ou de la communauté touchés par le dossier a été mis sur pied pour accompagner la SIC dans l’opération. Les étapes de consultation sont bien balisées, la documentation est pleinement accessible, les nouveaux modes électroniques de participation sont mis à contribution.

Les huit principes

Toutefois, le document qui présente les grandes lignes de la démarche de la SIC résume de façon beaucoup trop succincte et expéditive, à notre avis, les principes qui avaient émergé des consultations et régi le premier plan directeur. Ces principes, au nombre de huit, nous semblent toujours pertinents trente ans plus tard.

Le premier principe prônait la nécessité d’insérer le réaménagement du Vieux-Port dans la problématique de l’aménagement du centre-ville élargi, en complémentarité et non en concurrence avec les secteurs environnants : ce principe conserve une grande pertinence, entre autres, alors que Montréal doit procéder au cours des prochains mois à la révision de son Plan d’urbanisme.

Le second renvoyait au libre accès du public sur le site : c’est l’essentiel du résumé fait par le document de consultation. Deux des principes de 1986 demandaient, outre le maintien du caractère historique et maritime du lien, la mise en valeur des vestiges archéologiques et la préservation des vues exceptionnelles sur le site, le plan d’eau, la rue de la Commune et la ville : la gestion de cette exigence s’est avérée difficile à travers le temps, relativement à la profusion de projets ayant surgi à un moment ou un autre (par exemple, l’affichage commercial, l’implantation d’une grande roue ou d’un téléphérique).

Deux autres parmi ces principes semblent implicites dans la démarche actuelle, mais nécessiteraient d’être réaffirmés, et ce, avec force : le maintien des espaces sous contrôle public et l’implication des différents paliers de gouvernement dans la planification et l’aménagement. Le septième principe demandait un aménagement en réponse à des besoins réels, un principe que rencontre manifestement la démarche actuelle, mais qui exigeait aussi de retenir, parmi ces besoins, ceux pour lesquels le Vieux-Port était véritablement le site approprié, un tamis clair pour choisir entre les multiples projets commerciaux ou résidentiels que soumettent les développeurs. Enfin, le dernier principe revêt peut-être la plus grande importance aujourd’hui : il demandait que l’aménagement se fasse à l’intérieur d’un plan directeur, mais sans que les nouvelles adjonctions nuisent aux réalisations antérieures.

En continuité avec ces principes, il serait essentiel que la démarche en cours, avant de parler de revitalisation, dresse un bilan systématique et éclaire les questions suivantes :

En fonction de quels critères et de quel bilan un des cinq piliers dégagés du« visioning » de 2010 pour la partie Pointe-du-Moulin et le Silo no 5, celui de créer« un nouvel ensemble urbain exceptionnel sur le plan de l’architecture, du paysage et du développement durable », devient-il l’objectif d’ensemble de l’opération et est-il étendu à l’ensemble du territoire du Vieux-Port ;

La place que la revitalisation veut faire à la mixité d’usages ;

La signification et la portée pour la SIC de cette volonté « d’assurer à long terme la viabilité du territoire ».

L’objectif de créer « un nouvel ensemble urbain exceptionnel sur le plan de l’architecture, du paysage et du développement durable » est louable en soi, certes, mais il faut que cet aménagement se situe en cohérence et en continuité avec les principes et les réalisations antérieures, des réalisations qui ont subi avec succès l’épreuve du temps. Le secteur du Vieux-Port doit continuer d’être un modèle à tous égards.

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