Entrevue de Bernard Long, professeur émérite de l’INRS, par Catherine Lachaussée de Radio-Canada, sur l’érosion de la plage de Beauport

Catherine Lachaussée, Radio-Canada cet après-midi, publié le 28 mai 2015 à 16h40

Catherine Lachaussée : Vous en avez entendu parler de ces projets de l’Administration portuaire de Québec. On veut laisser…, en fait on veut prendre de l’expansion. Et puis dans les cartons, on a un projet de 500 M$ qui prévoit le prolongement de la ligne des quais sur plus de 600 mètres, on veut ajouter des espaces de quais en eau profonde, et aussi on parle de construire un duc-d’Albe, c’est un appui dans le fleuve qui est constitué de pieux où les navires peuvent s’amarrer. Le pdg du Port, Mario Girard, affirme qu’il profiterait de ce projet aussi pour améliorer la plage de Beauport et régler le problème de l’érosion des berges. C’est une plage très populaire. Mais est-ce qu’on peut vraiment mettre un terme à l’érosion? On va en discuter avec Bernard Long, professeur émérite du centre Eau, terre, environnement de l’INRS, l’Institut national de recherche scientifique. C’est un spécialiste reconnu dans l’analyse de l’érosion côtière. On est en plein dans notre sujet. Bonjour monsieur Long.

Bernard Long : Bonjour.

C.L. : Les problèmes d’érosion, ça remonte quand même à plusieurs années, est-ce qu’on en connait la cause?

B.L. : En fait, [inaudible] la cause, c’est pas le problème d’érosion au départ. Cette plage a été faite à partir de dragage du port, et donc dans les années 1960, au moment de la création du bassin Louise, on a mis euh…, pas Louise, le dernier bassin, qui est sur la rivière euh…, dans l’estuaire de la rivière, on l’a creusé et on a déposé ces sédiments en avant. Ces sédiments ont été, sous l’action des vagues, automatiquement, et des courants de marée, ils se sont remaniés, ils se sont transportés et ont commencé à s’éroder depuis le début.

C.L. : D’accord. Mais si je vous suis bien, on parle de remplissage finalement, i.e. cette plage a été grugée sur le fleuve? C’est ça… . Alors forcément, c’est une plage qui est plus fragile…

B.L. : Elle est artificielle, elle est fragile, elle a pas encore trouvé sa stabilité, ce qui est normal parce que les gens ne recherchent pas la stabilité d’un dépôt de dragage, habituellement. Ils mettent…, ils forment le dépôt de la façon la plus simple possible, on va dire.

C.L. : Expliquez-moi quel problème se pose à ce moment-là quand on veut compléter une plage. Parce qu’écoutez, il y en a eu beaucoup du remplissage le long du fleuve. Quand on regarde la ligne du fleuve au cours des siècles, elle a beaucoup reculé. En fait, on a avancé le territoire de la ville de Québec le long des quais là, on a avancé dans le fleuve et c’est sûr que…, j’imagine que le problème n’est pas tout à fait le même en ce qui concerne une plage?

B.L. : Une plage, en fait, c’est parce qu’elle était pas protégée, donc les sédiments étaient directement soumis à l’action des vagues les jours de tempête, et des courants de marée qui sévissent dans le fleuve.

C.L. : Alors ça continue de travailler.

B.L. : Oui.

C.L. : Alors comment est-ce qu’on peut faire pour stabiliser les choses et éventuellement compléter la plage?

B.L. : Stabiliser les choses et compléter la plage… .  En fait, on a des sédiments, il faut qu’ils atteignent leur stabilité au point de vue profil vis-à-vis des vagues qui sont formées par les tempêtes et par les courants de marée. On voit très bien ceci par des séries de flèches sableuses qui s’en vont en direction du nord.

C.L. : D’accord. Alors qu’est-ce qui va arriver, est-ce que le Port a un moyen justement de complé…

B.L. : Le Port… . Le Port agrandi sa structure dans la partie sud du dépôt en infléchissant un peu le quai en direction de l’est-nord-est…, légèrement. Donc, c’est vrai qu’il va protéger la partie sud et sud-est du dépôt étant donné que cette partie-là va être prise dans la zone de stockage de matériaux.

C.L. : D’accord.

B.L. : Par contre, la partie qui est plus à l’est et au nord-est va continuer à subir les vagues qui sont formées par les vents les jours de tempête et peut-être, mais à moindre domaine, par les courants de marée, parce qu’il se peut que cette digue protège légèrement, en partie, la partie sud de la plage.

C.L. : Est-ce que le Port pourrait peut-être revoir son aménagement pour justement mieux protéger la partie nord et nord-est?

B.L. : Personnellement, je vous dirais qu’il ne vaut mieux pas. Je préférerais avoir une plage qui soit légèrement érodée, i.e. que les sédiments sont remaniés, et donc sont nettoyés systématiquement par les vagues et les courants plutôt que d’avoir une plage dans laquelle les sédiments ne bougent plus et qui peuvent à ce moment-là piéger des éléments polluants.

C.L. : Ha! d’accord. Alors ça peut être une plage contaminée, justement, on a ce risque.

B.L. : Ça pourrait devenir une plage contaminée, et surtout que j’ai quand même un petit doute, étant donné qu’on veut faire du transport, du transit de vrac solide, il faut s’attendre qu’il y ait quand même un peu de poussière qui puisse voler comme il en existe de temps en temps en ce moment, et cette poussière peut venir à ce moment-là venir se piéger dans les sédiments. Et donc on aurait à ce moment-là une plage qui ne serait pas tellement agréable. Il vaudrait mieux laisser…, se faire remanier…, il n’y a pas un très gros transport sédimentaire. Donc on peut se permettre de la laisser se faire éroder légèrement, par contre en la gardant de qualité.

C.L. : Voilà, alors il faut qu’elle s’érode pour rester une plage de qualité et une plage en santé…

B.L. : Il faut que les sédiments bougent!

C.L. : Il faut que les sédiments bougent. Est-ce que ya…, mais est-ce qu’on peut à ce moment-là se donner un échéancier, se dire bon ben, quand ils ont suffisamment euh…, s’ils ont suffisamment fui la plage les sédiments, parce qu’il y a de l’érosion, à un moment donné on peut peut-être justement en ramener à échéance régulière?

B.L. : On peut toujours ramener un peu de sable par dessus, ce serait pas bien méchant de faire çà. En ce moment, dans l’érosion qu’on a, le matériau qui constituait ce dépôt, c’est un matériau on va dire de tout-venant, il y avait des graviers, des galets, du sable, et probablement des sédiments plus fins. Les sédiments plus fins, l’argile, sont déjà partis eux, se sont fait éroder et sont allés se promener dans le fleuve on sait pas bien où. Les sables ont eu tendance à monter vers le nord en formant les parties de ces petites flèches sableuses, et les sédiments les plus grossiers sont restés probablement dans la zone sud et sud-est et vont être piégés par le nouveau port.

C.L. : On aurait intérêt à ramener quoi, à privilégier l’argile?

B.L. : Du sable!

C.L. : Du sable?

B.L. : Ha! oui oui, si vous voulez faire une plage y faut avoir du sable.

C.L. : Oui, on oublie ça l’argile alors. Bon ben c’est très clair, donc du sable qu’on se procure quand même où? Où est-ce qu’on le prend le sable à ce moment-là pour qu’il s’intègre le mieux possible à la plage? Il peut venir de n’importe-où?

B.L. : Oui, il faut faire une toute petite étude dessus pour voir la granulométrie, la taille du sable qui serait la plus stable, et ensuite à travers les carrières qui sont…, les sablières qui sont autour de Québec, on peut trouver du sable.

C.L. : Et puis on en remet régulièrement quand on en a besoin, tout simplement?

B.L. : On en remet quelques trucks chaque année et on a une plage qui va être stable.

C.L. : Merci beaucoup monsieur Long!

B.L. : De rien.

C.L. : C’est ce qu’on va se souhaiter, une plage stable, élargie et en santé. Ya quand même quelques défis pour le Port.

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