Expansion du Port de Québec: les «retombées» valent-elles le risque?

François Bourque, Le Soleil, publié le 01 novembre 2014

(Québec) Le Port de Québec, qui dispose de cinq kilomètres de quais entre l’anse au Foulon et les battures de Beauport, souhaite s’étirer de 610 mètres supplémentaires à l’embouchure de la rivière Saint-Charles.

Son projet implique du remblayage au fleuve sur 14 hectares, l’équivalent du grand anneau des sports des Plaines.

Comme il faudra aussi draguer devant le nouveau quai, le matériel extrait servira à un second remblayage, plus important, du côté des battures. La plage de sable s’en trouvera prolongée.

Le projet vise aussi l’ajout d’un quai de vrac liquide sur pilotis (duc d’Albe) à 100 mètres du quai actuel, toujours à l’embouchure de la rivière. L’objectif est d’y exporter du pétrole canadien.

Ce projet d’expansion aura des répercussions sur la ville : altération du milieu marin et du paysage; contraintes à la vocation récréotouristique des battures de Beauport; risque accru d’émanations de poussière dans Limoilou; hausse des activités de transport terrestre et du bruit; danger de déversement de polluants au fleuve, etc.

Ces risques et inconvénients sont-ils vraiment compensés par des retombées économiques et de nouveaux emplois pour la région de Québec? C’est la question qu’il faut poser, car si ce n’était de ces retombées, rien ne pourrait justifier une intervention au fleuve aussi intrusive.

À ce jour, la démonstration de ces retombées n’a pas été faite de façon convaincante.

En entrevue au Soleil en novembre 2013, le pdg du Port, Mario Girard, a parlé de 253 millions $ par année en «valeur ajoutée», de 2000 emplois directs et indirects et de 5700 pendant la durée des travaux.

Cette projection a été faite à l’aide du modèle intersectoriel de l’Institut de la statistique du Québec.

Ces chiffres sont à prendre avec précaution et scepticisme. Comme d’ailleurs toutes les études similaires qui tendent souvent à gonfler les chiffres.

Les organisations qui les commandent cherchent des arguments pour convaincre les pouvoirs publics de participer à leurs projets. Leur intérêt est de faire miroiter un maximum d’emplois créés et de retombées.

«La tentation est grande d’étirer l’élastique», constate le professeur Jean Dubé, un économiste associé au Centre de recherche et aménagement et développement de l’Université Laval.

En théorie, ces études devraient montrer clairement l’activité supplémentaire générée par un événement, un projet ou une institution.

Nous dire combien «d’argent neuf» viendra dans la région, la province ou le pays. Combien d’emplois supplémentaires qui n’existeraient pas autrement.

Dans les faits, les études de retombées ne font pas (assez) cette distinction. Elles regardent simplement combien d’argent est investi et ce qui en résultera en salaires et en achats de biens et de services directs et indirects.

Comme si on jetait un caillou dans l’étang et qu’on mesurait l’amplitude des ronds dans l’eau aussi loin qu’on puisse les voir. Plus le caillou est gros, plus les répercussions sont importantes.

Pour obtenir des résultats fiables, il faut donc bien connaître la taille du caillou qu’on jettera à l’eau. C’est ici que les choses se compliquent. C’est la «partie occulte» des études de retombées, explique M. Dubé.

Comment distinguer les activités pour lesquels le port est essentiel? S’il n’y avait pas de port, quelles entreprises survivraient quand même? Quelles autres pourraient acheminer leurs marchandises autrement, par un autre port ou un autre moyen de transport?

Dans une étude récente (2009), le consultant Sécor a identifié 114 acteurs majeurs de «l’écosystème» portuaire de Québec. Le portrait n’a pas beaucoup changé depuis.

Ces dépenses annuelles de ces joueurs ont servi à déterminer l’impact économique du Port.

On y trouve plusieurs évidences : le Port lui-même, Arrimage Québec, Groupe Desgagnés, Pilotes du St-Laurent, Bunge, Groupe Océan, Garde côtière, etc.

Pour d’autres, c’est discutable : Yacht club, Société des traversiers, Canadien National, Canada Steamship Lines, Villes de Québec et de Lévis, GRC, Défense nationale, Croisière Lachance, Hydro, Bell, etc.

L’étude n’a évidemment pas comptabilisé tous les employés de ces organisations. Mais a-t-elle fait les bons choix?

Ça ne fait pas de doute pour les débardeurs ou les employés de Bunge. Je suis moins certain pour Davie, par exemple. C’est une industrie liée au «maritime», mais Davie pourrait exister sans le Port, non? Ses quelque 1000 emplois sont pourtant inclus dans les statistiques de retombées.

J’ai les mêmes doutes pour d’autres acteurs, comme la Société des traversiers, qui pourrait aussi vivre sans le Port, même si elle profite de services qui y sont liés.

L’étude n’a heureusement pas poussé l’audace jusqu’à inclure tous les employés de la raffinerie Valéro (Ultramar), ne retenant que ceux qui travaillent au quai, dans Saint-Romuald.

L’étude suggère que les activités «portuaires» de ces 114 entreprises créent une «valeur ajoutée» de 295 millions $ par année dans la région de Québec, soit 3034 emplois directs, 1618 indirects et 1150 emplois «induits». Total : 5720 emplois.

En mesurant tous les ronds dans l’eau jusqu’au plus petit, ailleurs au Québec et dans l’ensemble du Canada, l’étude arrive à 800 millions $ de «valeur ajoutée»et 9800  emplois.

C’est évidemment ce dernier chiffre, le plus gros, que le Port de Québec met en évidence dans ses documents promotionnels et son site Web. Chiffre qu’il divise ensuite par le nombre de bateaux annuels pour arriver à cette étonnante statistique : 600 000 $ de retombées chaque fois qu’un bateau touche un quai à Québec.

Ce n’est qu’une figure de style, mais ça donne une idée de l’effet multiplicateur des études de retombées.

Le Port confirme par ailleurs que plus 50 % du tonnage transité à Québec arrive par bateau et repart par bateau sans avoir quitté les terrains du Port.

Ces marchandises font certainement travailler des employés sur les quais, mais ne font pas beaucoup de ronds dans l’eau.

Pour obtenir un portrait exact de l’argent frais généré par le port, il faudrait un examen minutieux de ce qui se passe dans chacune des entreprises de l’écosystème.

Il faudrait aussi examiner le flux des bateaux qui entrent et qui sortent, avec quelle marchandise, leur lieu de provenance ou de destination. Cela permettrait de mesurer quelles sont les entrées et les sorties d’argent générées par le Port.

Aucune étude ne pose ces questions-là. Les poseraient-elles que ces études coûteraient une fortune à réaliser pour des résultats aléatoires. L’information serait difficile à obtenir parce qu’il faudrait entrer dans l’intimité financière des entreprises.

Les promoteurs vont souvent se contenter d’études plus superficielles et approximatives.

La vérité sur les retombées économiques du Port est quelque part entre les résultats ronflants des études de retombées (seuil maximal) et la masse salariale des «vrais» employés qui travaillent sur les quais ou dans les services aux bateaux (seuil minimal).

Le cas des navires de croisière me semble très différent. Il tombe sous le sens que l’argent des 160 000 visiteurs est essentiellement de l’argent frais venu de l’extérieur.

Chaque passager en escale dépense en moyenne 111 $ par jour; le triple lorsque Québec est le point de départ de leur croisière. S’ajoutent les coûts d’amarrage et de services fluviaux qui peuvent dépasser 25 000 $ par navire.

Cet argent arrive à Québec sans risque pour le paysage et l’environnement et ajoute même au charme et à l’animation de la ville. Sauf peut-être pour les bouchons dans les Vieux-Port.

Le point de saturation

La «communauté maritime et portuaire» contribue à 2 % des revenus de travail dans la région de Québec et sa valeur ajoutée à moins de 1 % du PIB local.

Ce dernier pourcentage est constant dans toutes les études de retombées du Port menées depuis 30 ans.

Cela ne veut pas dire que le Port n’est pas un joueur important de l’économie de Québec, mais ce rôle est certainement moins important qu’à d’autres époques.

L’économie de Québec repose davantage aujourd’hui sur les services, la recherche, les nouvelles technos, etc.

On peut penser que le développement futur de Québec ne dépend pas, ou alors seulement de façon marginale, de la capacité du Port à allonger ses quais.

C’est à mettre dans la balance des réflexions sur la possibilité de construire ces quais.

Gains de productivité

Il est fascinant de voir à quel point l’argumentaire du Port de Québec pour obtenir de nouveaux quais n’a pas changé depuis 30 ans.

Le Port parlait déjà de congestion sur les quais et du besoin, urgent, de s’agrandir pour maintenir sa situation concurrentielle.

Cela n’a pas empêché le Port d’augmenter son tonnage de plus de 60 % depuis 25 ans sans ajouter de quais. Il y est arrivé par des gains de productivité et une utilisation accrue des «arrières quais».

Le Port a-t-il atteint le point de saturation? Peut-être pas au point de refuser des bateaux, mais les statistiques montrent que le temps moyen d’occupation atteint ces années-ci de nouveaux sommets.

À certaines périodes de l’année, il devient difficile de trouver du temps de quai pour des bateaux qui doivent alors attendre en file sur le fleuve, ce qui entraîne des coûts d’exploitation supplémentaires.

Dans une dynamique de croissance des affaires, le Port a probablement besoin de nouveaux quais.

Mais est-ce que l’économie de la ville a besoin de ces quais? Est-ce que les retombées en justifient les risques et inconvénients? Il y a place ici à un beau débat.

 

 

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